Comment une Française est devenue libraire en Algérie
En 1962, quand sa famille, comme tant d’autres, retourne en France au lendemain de la guerre d’indépendance de l’Algérie, Chantal Lefèvre ne pense jamais revenir dans ce pays qui l’a vu naître en 1946. Installée en Algérie dès 1935, sa famille dirigeait une imprimerie à Blida, à 50 km au sud d’Alger, au coeur de la plaine fertile de la Mitidja. Son aïeul, M. Mauguin, y avait même créé un journal, Le Tell de la Mitidja.
Chantal a 17 ans quand elle arrive en France. Elle croit avoir tourné la page ; son histoire va la rattraper. En 1985, elle revient en Algérie en touriste. Et revoit la maison de ses parents. « L’accueil a été formidable, se souvient-elle. La famille algérienne qui l’habitait l’avait embellie ; ils avaient su en préserver l’esprit. À partir de cette date, je suis revenue tous les étés. Je circulais, je rencontrais des gens. Je me sentais de mieux en mieux. » En janvier 1993, Chantal, qui travaille alors en Espagne, décide de se réimplanter définitivement dans son pays d’origine. « J’avais quitté l’Algérie dans le drame de l’exil obligé. Trente ans plus tard, je la retrouvais dans la tragédie de la guerre civile qui opposait l’État aux islamistes », explique-t-elle calmement. Au Centre culturel d’Alger, où elle postule un emploi, on lui explique « que le sang coule, que c’est dangereux et qu’elle doit partir ». Elle reste sourde. Pour vivre, elle donne des cours particuliers.
À Blida, l’imprimerie familiale croule sous les dettes. Chantal ne se résigne pas au naufrage. En 1994, elle reprend l’entreprise. Trois ans lui seront nécessaires pour apprendre le métier, éponger le passif (plus de 2 millions d’euros) et mettre au pas quelques fortes têtes qui dirigent l’affaire à la place des patrons. Un bras de fer où elle finit par s’imposer : « J’ai potassé les lois algériennes. Je connaissais mes droits. L’imprimerie Mauguin est une institution à Blida, je ne pouvais pas la regarder mourir. » Aujourd’hui, l’établissement a retrouvé son faste. Il trône au coin de la place des Mûriers, en plein centre-ville, face à la mairie. Chantal Lefèvre et ses soixante-cinq employés, unis, s’apprêtent déjà à soutenir de nouveaux défis. Du plomb, l’entreprise est passée à l’informatique.
Chantal n’oublie pas ces Algériens qui l’ont aidée aux pires moments : son personnel, ses voisins, certains élus. « Les années noires ? Je n’ai jamais eu peur, précise-t-elle. J’étais protégée par mes employés et par les gens du quartier. Je suis une Française qui vit et se comporte comme une Algérienne. Les mêmes droits et les mêmes devoirs. Quand ça ne va pas, je le dis sans ménagement. »
En octobre 2001, elle a inauguré une librairie en langue française. Les intellectuels algériens s’y rencontrent et y débattent. Il y a quelques mois, son frère François l’a rejointe : ensemble ils ont créé une maison d’édition, les éditions Tell.
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