Et Guinness conquit l’Afrique

Alors que ses ventes stagnent un peu partout, la marque irlandaise connaît un succès grandissant dans les pays subsahariens. Explication.

Publié le 16 février 2004 Lecture : 4 minutes.

L’Afrique a un nouveau héros. Son nom ? Power. Michael Power. Il est journaliste de profession, mais n’hésite pas à ranger sa plume pour venir en aide à la veuve et l’orphelin. À la différence de James Bond, il n’emploie pas la violence et ne porte jamais d’arme. Une fois son labeur accompli, il retrouve ses amis dans leur maquis préféré et se sert un grand verre de bière Guinness pour se rafraîchir. Puis se tourne vers la caméra et déclare : « Guinness révèle le pouvoir qui est en vous »…
Personnage de fiction, Michael Power a été inventé de toutes pièces pour améliorer l’image de la marque Guinness en Afrique. Et ça marche ! Alors que les ventes baissent en Irlande depuis quatre ans et stagnent partout ailleurs, le marché africain a progressé de 10 % entre juin 2002 et juin 2003. Environ 3 millions d’hectolitres de la fameuse bière brune sont consommés annuellement sur le continent, contre 2,16 millions en Irlande. L’Afrique représente 10 % des ventes annuelles de Guinness.
La première intrusion de la marque irlandaise sur le continent remonte à 1827, date de l’envoi d’une cargaison de fûts en Sierra Leone. L’implantation commerciale est plus récente. La première brasserie Guinness à voir le jour en dehors des îles Britanniques a été construite à Ikeja, au Nigeria, en 1962. Aujourd’hui, le stout irlandais, nom donné aux bières brunes et amères, est produit dans vingt-deux pays du continent et vendu dans trente. Dans neuf d’entre eux, il a ses propres brasseries. Dans les autres, principalement francophones, sa bière est produite sous licence par BGI du groupe français Castel et, dans une moindre mesure, par Heineken.
La boisson brassée localement, vendue exclusivement en bouteille, diffère de celle que les amateurs ont l’habitude de boire dans les pubs de Dublin, de Londres ou de Paris. Plus forte en alcool, elle a aussi un goût beaucoup plus puissant, plus caramélisé. Dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest et centrale, les consommateurs apprécient particulièrement les boissons maltées, qu’elles soient alcoolisées ou non. C’est d’ailleurs dans cette zone que la Guinness a rencontré son public. Le Nigeria et le Cameroun sont de très gros amateurs. Ils se placent respectivement à la 3e et 4e place des pays consommateurs de Guinness dans le monde. La brasserie Guinness Nigeria PLC produira environ 2,5 millions d’hectolitres cette année, soit le quart de la production totale de bières au Nigeria. Compte tenu des prix de vente, alignés sur le pouvoir d’achat, les marges dégagées sont beaucoup plus faibles qu’en Grande-Bretagne ou en Irlande, les deux principaux marchés de la marque. Mais elles sont compensées par l’importance des volumes produits.
Afin de continuer sa diversification sur le continent, la société lorgne de plus en plus vers le marché sud-africain sur lequel elle n’a pas encore pris pied. Pour cela, elle devra bousculer South African Brewery-Miller, le géant de la bière en Afrique australe.
Les analystes financiers voient d’un mauvais oeil le choix de Diageo, maison mère de Guinness, d’appuyer sa croissance sur l’Afrique, qui reste, à leurs yeux, une zone à risque pour les investissements. Les dirigeants de l’entreprise se veulent rassurants. Sans minimiser les risques, ils estiment que la société est protégée par le rôle qu’elle joue dans l’économie des pays où elle est implantée et par sa participation à la vie sociale. En Côte d’Ivoire, loin d’avoir mis la brasserie en difficulté, la crise qui agite le pays depuis quatorze mois a entraîné une augmentation des ventes de 19 %. Toutes ces raisons ont d’ailleurs incité la société à dépenser cette année la somme de 36 millions d’euros pour la promotion et la communication autour de sa marque en Afrique.
Selon Daniel Armstrong, le directeur marketing de Diageo Africa, la croissance des ventes depuis 1999 résulte du gros succès de la campagne Michael Power. La série de films publicitaires le mettant en scène a dépassé tous les espoirs. Le style est emprunté aux films d’action américains et aux polars. Le personnage principal est censé incarner les prétendues qualités de la boisson : force, amitié, intelligence, responsabilité et raison. Les aventures de Michael Power sont très suivies, surtout dans les pays anglophones. La jeunesse s’identifie à lui, et les nouveaux spots télévisés sont attendus avec impatience.
Pour profiter de cet engouement, Diageo a décidé de produire un long-métrage sur le même schéma que ses publicités et de faire de Michael Power un héros de cinéma. Engagement Critique est sorti dans les salles africaines au cours de l’année 2003. Le film a été tourné au Nigeria, en Afrique du Sud, au Ghana, au Cameroun et au Kenya, avec un budget de près de 3 millions d’euros et une équipe d’une centaine de personnes. Bien entendu, il est truffé de références à la marque irlandaise.
L’objectif de cette production est de montrer que le stout dublinois, présent depuis plus de cent cinquante ans en Afrique, est davantage qu’une boisson. Ne le surnomme-t-on pas Black Power ou encore Viagra au Nigeria ? La virilité de Michael Power accentue encore cette réputation. James bond n’a plus qu’à bien se tenir. Et troquer son légendaire martini dry contre une bonne pinte de Guinness.

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