Retour à la Ghriba
Cinq ans après l’attentat sanglant de 2002, le pèlerinage à la célèbre synagogue de Djerba vient de retrouver sa fréquentation de 2001.
Ce sont des touristes pas tout à fait comme les autres qui ont afflué par centaines, les 5 et 6 mai, à Djerba, pour un week-end aussi festif que coloré. De confession juive, la plupart sont venus d’Europe et d’Israël, sans hésiter un instant à poser le pied dans un pays arabo-musulman. Tous n’avaient qu’un objectif en tête : le pèlerinage annuel de la synagogue de la Ghriba, sur cette île de quelque 500 km2 où 800 juifs habitent encore aujourd’hui.
Entre 4 000 et 5 000 personnes y ont participé, selon les organisateurs. Une fréquentation en hausse, qui permet à l’événement de retrouver son niveau d’« avant ». « Avant » ? Avant l’attentat au camion piégé qui, le 11 avril 2002, avait tué 21 personnes, dont 14 Allemands, et largement endommagé la façade de l’édifice. Revendiquée par al-Qaïda, l’attaque avait provoqué une chute de la participation à la manifestation les années suivantes. Tombée à un millier de pèlerins seulement en 2003, sa fréquentation était ensuite progressivement repartie à la hausse, mais sans jamais parvenir à retrouver son niveau d’antan.
La satisfaction est donc de mise à Tunis et, en quelque sorte, inespérée. Contre toute attente, les fusillades qui ont opposé, à la fin du mois de décembre 2006 et au début de janvier 2007, dans la banlieue de Tunis, les forces de l’ordre à des groupes armés entraînés par les salafistes algériens n’ont pas dissuadé les touristes de venir en Tunisie cette année. Plus : ce retour au premier plan du pèlerinage de la Ghriba permet aussi à l’événement de retrouver le rôle très politique qu’il avait acquis durant la décennie 1990, alors qu’il ne relevait autrefois que de la tradition religieuse.
Pendant des siècles, en effet, seules les communautés juives locales s’y rendaient. En raison de leur proximité géographique, les juifs libyens, tout particulièrement, en étaient de fervents adeptes. Les visiteurs, généralement des ruraux aux revenus modestes, y affluaient pour implorer une aide divine et faire la fête. La Ghriba, qui signifie « L’étrangère », en arabe, accueillait de nombreuses jeunes filles qui espéraient y trouver un fiancé dans la promiscuité et l’ambiance chaleureuse de la hiloula. Les femmes mariées venaient, elles, y chercher la fertilité : le premier jour du pèlerinage, elles plaçaient un uf dans un caveau situé au fond de la synagogue et le reprenaient le lendemain pour le manger.
Si, avec le temps, la modernisation des murs et l’émigration, ces traditions se sont quelque peu perdues, la volonté des autorités tunisiennes de faire de la Ghriba un symbole de tolérance religieuse entre juifs et musulmans, au lendemain de l’accord de paix israélo-palestinien de 1993, a aussi bouleversé sa vocation. Dès le départ, Israël s’est engouffré dans la brèche pour faire du pèlerinage un outil de communication. Aujourd’hui, il est devenu une manifestation très courue des rabbins ainsi que des personnalités politiques et des journalistes juifs. Leur objectif : amener le monde arabe à « normaliser » ses relations diplomatiques avec l’État hébreu alors que ce dernier n’a toujours pas retiré ses soldats des territoires occupés de Palestine et de Syrie
Cette année, les Israéliens sont venus particulièrement nombreux. Ils étaient au nombre de 1 000, si l’on en croit les organisateurs du pèlerinage. Plus mesurées, des sources indépendantes estiment, elles, qu’ils étaient plutôt 500. Parmi eux, en tout cas, se trouvait David Tal, un député israélien membre du parti Kadima, fondé par Ariel Sharon en novembre 2005, qui a appelé à « un rapprochement fructueux » entre son pays et la Tunisie. Beaucoup de jeunes rabbins étaient présents également, plus particulièrement attirés, eux, par la légende selon laquelle la synagogue de Djerba serait construite avec des pierres issues de la destruction du temple de Jérusalem, il y a plus de vingt siècles.
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