Un scrutin en questions
L’issue de l’élection présidentielle du 24 octobre ne fait aucun doute : Zine el-Abidine Ben Ali sera reconduit sans coup férir dans ses fonctions. Restent, quand même, quelques interrogations…
Le président Zine el-Abidine Ben Ali a déposé le 3 septembre sa candidature à l’élection présidentielle du 24 octobre, fêtant ainsi en grande pompe son 68e anniversaire. Le candidat du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir, brigue un quatrième mandat de cinq ans. Sa candidature a été rendue possible par un amendement de la Constitution approuvé par voie référendaire en mai 2002 (par plus de 99 % des suffrages exprimés), mais contesté par une partie de l’opposition. Cet amendement abroge la limitation à trois du nombre des mandats à la tête de l’État et porte à 75 ans l’âge limite pour être candidat. Ce qui donne au président sortant la possibilité de solliciter un quatrième, voire un cinquième mandat – et de rester au pouvoir jusqu’en 2014. Mais on n’en est pas encore là.
Trois autres candidats devraient être présentés par les partis d’opposition disposant de députés au Parlement. La date limite pour le dépôt des candidatures auprès du Conseil constitutionnel est fixée au 23 septembre.
Restent un certain nombre de questions. Dans quel contexte cette élection se déroulera-t-elle ? Qu’en pensent les Tunisiens ? Fera-t-elle avancer la cause de la démocratie et du pluralisme ? Quelles sont les chances des candidats en lice ?
Que pensent les Tunisiens de ce nouveau rendez-vous électoral ?
À la vérité, pas grand-chose. À l’exception d’une minorité de militants, le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne se passionnent guère pour ce scrutin. Pour plusieurs raisons.
D’abord, force est de reconnaître que l’issue de la consultation ne fait aucun doute. Au pouvoir depuis 1987, Ben Ali se succédera à lui-même, sans doute avec un score écrasant, comme en 1989, 1994 et 1999. Or même si elle est synonyme de stabilité, la continuité n’enthousiasme guère les électeurs. Seule la perspective d’un changement serait susceptible de les sortir de leur léthargie. Il suffit d’ailleurs de regarder la télévision et de lire les journaux : on chercherait en vain un débat contradictoire susceptible de passionner les foules.
Mêmes les militants politiques tardent à se mobiliser. Les partisans du pouvoir sont convaincus que le scrutin se traduira par le maintien du statu quo. Ceux de l’opposition déplorent par avance la « consolidation du système de l’État-parti ». Ce qui revient au même. Quand les acteurs politiques sont d’accord sur tout (ou presque), comment s’étonner que les simples citoyens se montrent indifférents à leurs infimes divergences ?
Et puis, au terme d’un été festif au cours duquel ils ont, pour la plupart, largement puisé dans leurs économies, les Tunsiens font leurs comptes. Ils se montrent d’autant plus soucieux que la rentrée scolaire et le mois de ramadan, qui entraînent traditionnellement de grosses dépenses, approchent à grands pas. Difficile dans ces conditions de les convaincre de s’intéresser à la politique. Beaucoup sont ce qu’on appelle ici des « khoubzistes », des adeptes du « parti du pain », et préfèrent vaquer à des occupations plus lucratives. Très attachés à leur confort, ils sont atteint d’un mal que les analystes ont baptisé « oûzouf ». Traduire : passivité, dépolitisation. Ils donnent l’impression d’être indifférents, blasés, sceptiques… Ou d’avoir la tête ailleurs. L’élection présidentielle américaine du 2 novembre, par exemple, ne les laisse apparemment pas indifférents : la majorité d’entre eux souhaite ouvertement une défaite de George W. Bush face à John Kerry, son adversaire démocrate.
« Pourquoi chercher à promouvoir un pluralisme de façade quand la société ne demande qu’à être confortée dans son unanimisme de fait ? » s’exclamait récemment un homme politique, visiblement exaspéré par l’apathie de ses concitoyens. À la veille de l’ouverture de la campagne électorale, début octobre, ces derniers lui apporteront-ils un démenti ? Ce serait dans l’intérêt de tous les partisans de l’ouverture politique. Et ils sont nombreux…
Le parti au pouvoir va-t-il lâcher du lest ?
Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) ne semble pas disposé à céder aux autres formations la moindre parcelle de pouvoir. À peine ses militants tolèrent-ils l’idée – passablement saugrenue à leurs yeux – de devoir croiser le fer avec des personnalités venues d’autres horizons politiques. Leurs raisons sont simples, voire simplistes, et peuvent se résumer en un slogan : « On ne change pas une équipe qui gagne. »
Pour justifier leur hégémonie sur la vie politique, les militants du RCD invoquent plusieurs arguments, dont le moindre n’est pas le bilan de Ben Ali, jugé par eux extrêmement positif. Dans ces conditions, la moindre réserve, la moindre nuance dans l’éloge leur apparaît comme une manifestation d’ingratitude.
De toute façon, le RCD bénéficie d’une très forte assise électorale. Fréquemment en proie à des crises internes et incapables de proposer un programme crédible, les partis d’opposition sont d’une insigne faiblesse. Les électeurs ne s’y trompent pas. Lors de chaque consultation, ils font le choix de la sécurité, de la stabilité et la prospérité, fût-elle relative. Toutes choses que le régime en place est, à leurs yeux, seul en mesure de leur apporter. Reste que les « RCD’éistes » bénéficient largement de l’appui de l’administration et disposent de moyens humains et financiers sans commune mesure avec ceux de leurs concurrents. Publics ou privés, les médias nationaux se montrent en outre d’une grande indulgence à leur égard, alors que leurs adversaires sont rarement épargnés. Comment croire que les résultats des élections n’en soient pas affectés ?
Quelles sont les chances de l’opposition ?
Quasi nulles. Aucun des trois autres candidats ne se fait d’ailleurs la moindre illusion. Mohamed Bouchiha, du Parti de l’unité populaire (PUP), Mounir Béji, du Parti social libéral (PSL), et Mohamed Ali Halouani, du mouvement Ettajdid, candidat de l’Initiative démocratique (voir J.A.I. n° 2277), se contenteraient assurément de recueillir chacun 1 % des suffrages, ce qu’aucun opposant n’est jamais parvenu à faire en Tunisie. À l’exception, peut-être, de Halouani, ils ne veulent surtout pas apparaître comme des concurrents, encore moins comme des adversaires politiques de Ben Ali, dont ils évitent soigneusement de critiquer le programme. Difficile, dans ces conditions, de se présenter comme une alternative crédible. En 1999, lors de la précédente consultation, un opposant avait eu ce mot mémorable, lors d’un meeting : « Je présente ma candidature à la présidentielle, mais vous appelle à voter pour Ben Ali. » Son score avait été à la mesure de ses ambitions : « zéro et quelques poussières ».
En fait, il s’agit presque de candidats désignés. Amendée en mai 2002, la Constitution réglemente en effet la candidature à la présidentielle de manière extrêmement stricte : aucun candidat indépendant ou n’appartenant pas à un parti représenté au Parlement n’est autorisé à se présenter.
Pour convaincre leurs électeurs de se rendre aux urnes, les opposants seraient donc bien inspirés de faire preuve d’un minimum de détermination et de combativité. Une nouvelle déconfiture (il y a cinq ans, Mohamed Belhaj Amor et Abderrahmane Tlili avaient, à eux deux, réuni moins de 1 % des voix) apporterait de l’eau au moulin des partisans du boycottage du scrutin. Pour justifier cette position de rupture, les membres du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), pour ne citer que ce parti légal, invoquent la monopolisation par le pouvoir des instruments de la vie politique. À les en croire, la prochaine consultation ne sera, comme les précédentes, qu’une « parodie » destinée à « justifier le décor pluraliste ».
L’« Initiative démocratique » peut-elle changer la donne ?
Dans un manifeste rendu public le 25 juillet, les promoteurs de cette « Initiative » ont manifesté leur volonté de « rompre avec les formes rituelles de participation-décor qui […] discréditent le principe même des élections […] et mettent à mal les fondements de la République ». Lancée par un groupe de militants de gauche réunis autour d’Ettajdid, seul parti de l’« opposition réelle » à remplir les conditions légales de candidature, cette « Initiative » vise à construire un « mouvement démocratique, progressiste et unifié » doté d’une réelle assise populaire et électorale. Vaste programme ! Si la mobilisation en faveur de Halouani, le candidat d’Ettajdid, permet d’ouvrir une brèche dans le système unanimiste qui a prévalu jusqu’ici, l’« Initiative » n’aura pas été inutile. Dans le cas contraire…
Quelles seront les réactions à l’étranger ?
En dépit des critiques récurrentes des organisations de défense des droits de l’homme concernant le verrouillage de son espace politique et médiatique, la Tunisie conserve à l’extérieur une image plutôt positive. Avec une classe moyenne représentant plus des deux tiers de la population, une économie portée par la production industrielle et l’exportation de biens et services et un taux de croissance avoisinant les 5 %, elle fait figure de modèle de stabilité et de bonne gouvernance au sein du monde arabo-musulman. À Paris, à Washington et ailleurs, les responsables politiques n’hésitent pas à la citer en exemple. Les bailleurs de fonds internationaux en font de même. Les résultats de l’élection présidentielle tunisienne, quels qu’ils soient, ne les amèneront sans doute pas à reconsidérer leur position.
De même, la manière dont Ben Ali est parvenu à juguler l’intégrisme religieux tout en menant à bien un ambitieux projet de modernisation de la société lui vaut le respect de ses pairs maghrébins.
Pourtant, tout en louant ses indiscutables réussites en matière économique et sociale, les observateurs étrangers souhaiteraient voir la Tunisie mettre à profit sa stabilité et sa relative prospérité pour s’engager plus résolument sur la voie de la libéralisation politique.
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