L’exclusion vue par Yolande Zauberman

Dans chacun de ces trois films à redécouvrir, la réalisatrice française explore les mêmes thématiques : la peur de l’autre et l’identité.

Publié le 14 juin 2005 Lecture : 2 minutes.

Afrique du Sud, 1987. Sur fond de musique jazzy, la caméra tourne depuis une voiture en marche : d’abord les quartiers réservés aux Blancs, avec des maisons de la même couleur, des arbres verts et des allées soignées. Puis les cités réservées aux métis, blocs d’immeubles marrons et de béton gris. Enfin, les townships, les ghettos noirs : terre battue, sacs d’ordures éventrés et maisons en tôle qui chauffent sous le soleil.
Avec Classified People, tourné en 1987 dans la clandestinité, la réalisatrice Yolande Zauberman décortique les affres de la classification raciale imposée par l’apartheid. Elle filme Robert, né de père métis et de mère allemande, qui, après avoir épousé une Française (blanche) à la fin de la Première Guerre mondiale, se retrouve doublement mis au ban du monde. En 1948, à l’instauration de l’apartheid, sa femme et ses trois enfants sont classés blancs. Pas lui. Échouant dans la catégorie « métis », il est renié par sa famille qui veut sauvegarder les privilèges attachés à la blancheur, et mis à l’écart de la société. À 91 ans, remarié à la Noire Doris, il raconte non sans humour la machine raciale infernale.
Yolande Zauberman s’attache à l’humain, aux humains. Eux aussi sont le fil rouge d’un autre bijou documentaire, Caste criminelle (1989). Ici, c’est à travers la vie d’un vieux couple complice qu’elle raconte l’histoire de 3 millions d’Indiens qui appartiennent à la « caste des voleurs », classés comme tels par les Anglais en 1871. Bien qu’abolie en 1947, cette loi qui a fait d’eux des parias reste attachée à chacun de leurs pas. Ils sont condamnés à vivre dans les anciens camps érigés pour eux par les colons.
Explorant toujours les thématiques de la peur de l’autre et de l’identité, son premier long-métrage de fiction, Moi Ivan, toi Abraham, clôt la trilogie sortie fin avril en DVD. Tourné en noir et blanc, le film raconte la destinée de deux enfants, « quelque part aux limites de la Pologne dans les années 1930 ». L’un est juif, l’autre pas. Ils décident de partir ensemble tandis que la menace du pogrom plane.
Dans chacun de ces trois films, Yolande Zauberman a voulu montrer « comment on vit quand on est désigné d’une certaine manière ». « Y a-t-il un moyen de repousser cette désignation ? Y a-t-il une vie possible pour ceux qui ont été blessés et sont en position de fragilité ? » s’interroge-t-elle. La réalisatrice y observe aussi « les frontières qui traversent l’intime ». Par exemple, « la frontière de l’apartheid n’est plus une frontière entre Noirs et Blancs mais une frontière à l’intérieur d’une même famille ». Pour ses documentaires, elle ne filme jamais « contre ». Elle « filme avec », prenant soin d’être « complice avec quelqu’un à l’intérieur de l’image ». Raison pour laquelle les personnages nous paraissent si proches bien que lointains dans le temps et dans l’espace. Elle dit : « Ces destins du bout du monde, il me semble les avoir déjà rencontrés. Peut-être ici. »

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