Renouveau tunisien

De petites maisons font une apparition prometteuse, élargissant l’horizon des lecteurs, aussi bien arabophones que francophones.

Publié le 12 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Les Tunisiens amateurs de livres n’ont pas manqué de remarquer l’apparition dans les rayonnages des librairies d’un ouvrage du plus joli vert et sobrement titré Dernières nouvelles de l’été1. Ali Bécheur, Hélé Béji, Tahar Bekri, Colette Fellous et Alain Nadaud, cinq écrivains de renom dont la Tunisie est la terre natale ou d’élection, y racontent, chacun à sa façon, entre la fable, le carnet de voyage et la méditation, un épisode de leur vie placé sous le signe de la saison estivale.
Avec ce recueil de textes à la présentation très soignée, Elyzad a fait une entrée prometteuse dans le paysage éditorial local. La fondatrice de la maison, Élisabeth Daldoul, 44 ans, de père palestinien et de mère française, a grandi à Dakar avant de faire des études de lettres à Paris. Elle vit à Tunis depuis vingt ans. Elle n’est autre que l’épouse du patron de Clairefontaine, un des principaux groupes de librairie et de distribution du livre en Tunisie. Ce qui présente de gros avantages. Elyzad bénéficie de la structure de diffusion du groupe, qui lui permet de couvrir tout le pays, mais aussi de sa surface financière.
Mais Elyzad se démarque de Clairefontaine, qui s’était lui-même lancé dans l’édition en 2002, en élargissant son horizon à des écrivains de toutes origines traitant des thèmes universels. Le premier titre de la collection « Éclats de vie » sera constitué du témoignage d’une Belge. En attendant paraîtra sous peu un roman d’Ali Bécheur intitulé Le Paradis des femmes. Suivra un beau-livre sur la mosaïque romaine dont on sait que la Tunisie possède les plus belles collections. La maison ne publiera dans l’immédiat qu’en français.
Il y a de toute façon beaucoup de choses à faire pour le livre francophone en Tunisie. La production en arabe, notamment dans le domaine des essais, est beaucoup plus abondante. Cérès, la doyenne et la plus importante des structures d’édition locales, ne sort plus guère d’ouvrages de fiction depuis le décès de son directeur éditorial Noureddine Ben Khedder. Dans les librairies de Tunis, on remarque surtout ses titres sur la religion musulmane, souvent publiés en coédition, comme L’Islam entre le message et l’histoire d’Abdelmajid Charfi, sorti en France chez Albin Michel. À l’instar d’Alif, autre poids lourd du secteur, Cérès privilégie les beaux-livres. Une bonne partie de son activité est par ailleurs tournée vers l’Afrique subsaharienne. Avec l’aide de la Coopération française, elle a en effet réédité en poche des centaines de textes – romans ou essais – puisés dans le patrimoine hexagonal, les coûts de fabrication tunisiens permettant de distribuer ces livres à des prix adaptés au marché des pays pauvres.
Ce n’est donc pas un hasard si de nouvelles maisons d’édition à vocation littéraire voient le jour. Figure de la vie culturelle locale, Mika Ben Miled vient de lancer Cartaginoiseries. Son objectif est de faire connaître des « paysages littéraires pittoresques » du patrimoine méditerranéen. Après avoir sorti de l’oubli la Lettre sur le commerce de la librairie2 de Denis Diderot, une des premières réflexions sur la propriété intellectuelle et le droit d’auteur, elle propose Cervantès, soldat de La Goulette, captif à Alger, tiré du Don Quichotte, dont on commémore cette année le quatre centième anniversaire de la parution. En octobre, Cartaginoiseries a publié une étude de Nazli Hafsia sur Le Contrat de mariage en Tunisie jusqu’en 1956.
Autre nouvelle maison, Tawbad a été créée par le poète Khaled Najar. C’est donc à son domaine de prédilection qu’est consacrée la collection « Alkacida » (« poème », en arabe), constituée de textes bilingues français-arabe. Vient de paraître un recueil de Poèmes choisis3 d’Henri Michaux, traduits par notre collaborateur Ridha Kéfi. Lequel avait déjà traduit, pour la même collection, en collaboration avec Khaled Najar, Chant pour un équinoxe de Saint-John Perse.
Autant d’initiatives démontrant le regain de vitalité de l’édition tunisienne, qui, il faut le souligner, bénéficie d’un soutien non négligeable de l’État, à travers une subvention sur le papier et des achats presque systématiques (entre 100 et 300 exemplaires) de toutes les parutions. Ce qui lui manque probablement le plus pour passer à une autre échelle de diffusion, c’est, à l’image de l’Algérie voisine, l’émergence de romanciers susceptibles d’intéresser un public autre que local. Mais cela est une autre affaire…

1. Dernières nouvelles de l’été, d’Ali Bécheur, Hélé Béji, Tahar Bekri, Colette Fellous et Alain Nadaud, éditions Elyzad, 168 pages, 12 dinars tunisiens (environ 9 euros).
2. Lettre sur le commerce de la librairie (1767), de Denis Diderot, présenté par Mika Ben Miled, éditions Cartaginoiseries, 112 pages, 9,5 dinars.
3. Poèmes choisis, d’Henri Michaux, traduits en arabe par Ridha Kéfi, éditions Tawbad, 54 pages, 8,65 dinars.

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