Ali Haddad

À 43 ans, il est à la tête du premier groupe privé de BTP en Algérie. Discret mais déterminé, il veut maintenant chasser sur les terres de Sonatrach en construisant sa propre raffinerie de pétrole.

Publié le 11 février 2008 Lecture : 6 minutes.

Comme pour dire qu’il ne doit rien à personne, il aime à rappeler qu’il est parti de zéro. Et balaie d’un revers de main toute autre possibilité. Qu’on se le dise : Ali Haddad n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, n’a hérité d’aucune fortune et n’est ni le fils d’un général, ni celui d’un haut dignitaire du régime.
À 43 ans, il est pourtant le patron du premier groupe privé de bâtiment et de travaux publics algérien, ETRHB Haddad, également présent dans l’hôtellerie et la concession automobile (Toyota). Soit le concurrent direct de Cosider, l’entreprise publique de BTP créée en 1979 par les autorités, devenue numéro un national avec 22 000 salariés et un chiffre d’affaires de 440 millions d’euros en 2006. Évidemment, Ali Haddad doit encore grandir avant de rivaliser de front. Mais la rapidité avec laquelle il a réussi à émerger lui laisse beaucoup d’espoir. En 2005, ETRHB Haddad n’affichait en effet qu’un chiffre d’affaires de 51 millions d’euros (deux fois plus en 2006, lire ci-contre) et n’employait que 2 200 salariés
Déterminé, le jeune dirigeant ne craint pas de bousculer les pièces de l’échiquier industriel algérien pour s’imposer. Après Cosider, le prochain objectif d’Haddad est de marcher dans les pas du géant pétrolier Sonatrach (61,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2006, soit 30 % du PNB algérien) en construisant la première raffinerie privée du pays. Un investissement de 2 milliards de dollars, au moins, dont il essaie actuellement de boucler le montage financier Si le projet voit le jour, il permettra au groupe ETRHB Haddad de satisfaire ses propres besoins en produits bitumeux (construction de routes) et de commercialiser le reste de sa production. « Nous serons les premiers privés algériens à investir un marché détenu jusqu’à présent par Sonatrach. Notre objectif est de diversifier nos activités en investissant les niches d’opportunités », dit-il, d’une voix ferme mais posée. Un ton qui résume, à lui seul, le style Haddad, fait à la fois de ténacité, de persévérance et d’ambition
Le sens des affaires qui caractérise ce quadra lui vient sans doute de son père, un paysan qui a préféré ouvrir un magasin d’alimentation générale dans le petit port d’Azzefoun, à une centaine de kilomètres à l’est d’Alger, plutôt que d’émigrer en France comme l’ont fait des milliers d’autres montagnards kabyles. S’il se garde bien d’expliquer sa réussite par un supposé legs parental, il défend en revanche farouchement sa volonté de s’installer à son propre compte pour ne pas rejoindre le bataillon des fonctionnaires de son pays. « Je ne me voyais pas du tout pointer dans une société d’État, travailler huit heures par jour et attendre la fin du mois pour toucher mon salaire », confesse-t-il.

Incontestable sens des affaires
Cadet d’une fratrie de six enfants, Ali Haddad est d’un tempérament bouillant. Après un brillant cursus scolaire, il entre, en 1983, à l’université de Tizi-Ouzou, dont la réputation de foyer de la contestation berbériste n’est plus à faire. Mais quand une bonne partie des étudiants de l’établissement versaient dans le syndicalisme et l’activisme politique, Haddad n’avait, lui, qu’une idée en tête : réussir ses études pour les achever rapidement. Si le jeune homme n’était pas indifférent à la cause berbère, il était surtout pressé d’entrer dans la vie active.
Mais alors qu’il ne lui reste qu’un an pour décrocher son diplôme d’ingénieur en génie civil, Haddad décide de se lancer, parallèlement, dans le tourisme avec ses cinq frères. Ils ouvrent ensemble Le Marin, un petit hôtel sans prétention, dans leur village natal. Vingt ans après sa fondation, l’établissement est devenu un complexe qui compte une centaine de chambres, plusieurs suites, deux restaurants, une salle de conférences et une immense piscine
En posant le pied dans le monde des affaires, Haddad y prend goût. Dès le mois d’août 1988, deux mois seulement après sa sortie de l’université, il crée une entreprise de BTP au capital de 1 million de dinars (10 000 euros). Encore sous régime socialiste, l’Algérie s’ouvre alors timidement au secteur privé. « Je savais que nous nous acheminions inexorablement vers l’économie de marché. Il fallait donc être présent pour se préparer au grand saut », explique le jeune patron. Les débuts sont pourtant laborieux. Entre petits projets et contrats maigrelets, le succès se fait attendre. « Il fallait se battre bec et ongles pour arracher des marchés, se souvient Ali Haddad. Pour autant, il n’était pas question d’abandonner car tout était à faire en Algérie. » À force d’abnégation et de patience, le premier gros coup qui permet à Haddad de mettre le pied à l’étrier arrive enfin. En 1993, sa petite entreprise décroche un appel d’offres de 93 millions de dinars (environ 930 000 euros) pour la réalisation d’une route nationale dans la région de Tizi-Ouzou. ETRHB Haddad peut enfin faire la preuve de ses compétences et montrer qu’elle est un partenaire fiable, tant en matière de travaux routiers que d’édification d’ouvrages d’art, de logements et de bâtiments publics.

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De rares confessions sur sa vie privée
Cette réussite naissante aurait pu toutefois tragiquement s’arrêter un soir de janvier 1995, lorsque Ali tombe dans un faux barrage dressé par un groupe islamique armé. Heureusement, il est relâché deux heures plus tard. « J’ai cru que la fin était proche, raconte-t-il aujourd’hui. Le lendemain, à bord de la voiture qu’ils m’avaient confisquée, les trois terroristes sont interceptés lors d’un contrôle routier. Refusant de répondre aux sommations des militaires, ils sont abattus. J’aurais pu être tué avec eux » Ali avait-il la baraka ? À demi-mot, il avoue être persuadé qu’un ange gardien veille sur lui. Rare confession de ce père de trois enfants qui cultive la plus grande discrétion autour de sa vie privée et ne confie que du bout des lèvres vivre dans une ferme de 30 hectares, à la périphérie d’Alger, avec chevaux, vaches et moutons !
Cet épisode tragique de 1995 donne au patron davantage d’assurance. Plus rien (ou presque) ne pourra désormais arrêter son ascension. À partir de cette date, le groupe ETRHB Haddad va multiplier projets et diversification. Jusqu’à devenir incontournable dans le monde algérien des affaires, à la faveur des grands travaux lancés, en 2000, par le président Bouteflika, pour relancer l’économie du pays.
Tous les ouvrages d’art construits dans la capitale – une vingtaine en tout – sont l’uvre de la société. Le groupe décroche, aux côtés des Chinois et des Japonais, un contrat pour la réalisation d’un tronçon de 73 km de la grande autoroute qui reliera l’Algérie d’est en ouest, sur 1 200 km. En 2006, encore, quand le gouvernement décide de doter Alger d’un tramway, il confie le projet – un investissement de 356 millions d’euros – à un consortium formé du français Alstom, de l’italien Todini et de ETRHB. Qui n’en reste pas là, puisque l’entreprise réalise simultanément quatre ouvrages de transfert d’eau à partir des nouveaux barrages de Bejaïa, Mostaganem, Bouira et Alger, et peaufine son projet de raffinerie pétrolière.
Évidemment, la réussite d’Ali Haddad fait jaser. Certaines mauvaises langues l’accusent d’avoir été pistonné. D’autres affirment qu’il a versé des pots-de-vin. Certes, admet l’intéressé, la corruption est un mal qui gangrène l’Algérie. Élu manager de l’année en 2005 par le club Excellence Management auquel participent plusieurs pointures du patronat algérien, Ali Haddad récuse toute remise en cause de sa probité. « Ni Bouteflika ni personne ne nous a jamais versé quoi que ce soit, tranche-t-il. Il faut arrêter de croire que seuls les corrompus réussissent en Algérie. »

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