Mika Ben Miled

Du cinéma au journalisme en passant par la défense du patrimoine culturel, cette Tunisienne d’adoption a tout fait. Sa dernière passion ? L’édition, avec la création de Cartaginoiseries.

Publié le 10 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Le Tout-Tunis vous le dira : Mika Ben Miled est un personnage atypique. Et d’abord, quelle idée de se faire appeler Mika ! « C’est Michaelle, mais je préfère Mika », explique-t-elle. Elle ajoute, en vous fixant dans les yeux : « Je ne veux pas non plus que vous disiez que je suis une francaoui. » Ah bon ? Renierait-elle sa terre natale ? « Pas du tout. Je refuse simplement d’être assimilée aux Français de Tunis. » En revanche, Mika confie volontiers qu’elle a eu mille vies et qu’elle n’en regrette aucune. La dernière en date, elle l’a vouée aux livres : sa maison d’édition, Cartaginoiseries, à peine née, compte déjà quatre titres.
Lorsque Mika détourne les yeux, l’on imagine qu’elle a en tête cette année 1963, où elle met les pieds pour la première fois à Tunis au sein d’une équipe de tournage. Tout de suite, la jeune Marseillaise tombe amoureuse du pays et épouse un Tunisien issu d’une famille d’architectes, qui sera le père de ses deux garçons : « Le pays m’est tombé dessus, j’ai fait des racines dans tout le territoire, car je tournais partout. » Mika a en effet rejoint le milieu du cinéma local et fait partie, en tant que technicienne et scripte, des équipes qui vont réaliser les premiers films de la Tunisie indépendante.
Avec un enthousiasme désarmant, elle veut croire en un cinéma national et africain : « Tous les espoirs étaient permis en ces années 1970. Nous allions tout créer et abattre l’impérialisme. » Et, après un silence, son sourire désabusé : « Nous avons été cocufiés ! »
Mika a intégré entre-temps la Radiotélévision tunisienne (RTT), créée en 1966, pour y lancer le service montage : « Je me suis même tapée les discours-fleuves de Bourguiba qu’il fallait monter pour la télé ! » Idem à la Satpec (Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique), où elle crée le laboratoire technique et forme des stagiaires devenus les piliers de la télévision tunisienne aujourd’hui.
Mika se tait, tire sur sa cigarette, puis le récit de sa vie s’égrène à nouveau. Avec des stations d’arrêt obligatoires : « En 1977, j’en ai eu marre du cinéma ! » Son excellente connaissance des souks lui inspire l’idée de faire connaître l’artisanat de l’intérieur. Elle restaure le presbytère de la rue de l’Église qu’elle appelle El-Hanout, parcourt le pays pour ramener des objets rares dont elle raconte l’histoire devant un public ébahi. Bientôt se crée un style hanout avec des paillettes, des chéchias et des vêtements dont elle va relancer ou modifier l’usage, telle la fouta, initialement prévue pour le hammam et qu’elle sort sur les plages. Et puis un jour, elle en a marre de nouveau. Elle revend tout pour refaire du montage, notamment L’Homme de cendres, de Nouri Bouzid.
Les études de ses enfants l’obligent toutefois à regagner la France. À Marseille, elle s’occupe de la rédaction d’une revue de libraires, obtient une carte de presse et couvre la mobilisation des mineurs. C’est là qu’elle va se passionner pour l’histoire de la Méditerranée et, plus spécifiquement, pour le commerce entre les deux rives. Elle écrit le thriller commercial de la chéchia : « Ce bout de feutre de 10 centimètres qui a causé des guerres commerciales folles entre les marchands marseillais et tunisiens. » La passion de l’édition la gagne. De retour à Tunis, elle transforme le garage de sa villa de Carthage qu’elle avait converti en magasin d’artisanat et appelé Cartaginoiseries (comme les chinoiseries) en un local d’édition.
Après un texte de Diderot sur la propriété intellectuelle, elle publie Le Contrat de mariage en Tunisie, puis réédite un récit peu connu de Cervantès, où l’auteur de Don Quichotte raconte le siège de La Goulette et sa captivité à Alger, deux thèmes qui inspireront nombre d’opéras et des romances orientalistes. Publié à l’occasion du six centième anniversaire de la mort du « fondateur de la sociologie politique », son dernier ouvrage est une nouvelle édition de Ibn Khaldun et l’histoire, de Mohamed Talbi.
Mika se charge de tout, correction, maquette, etc., et donne le CD prêt à l’imprimeur. Elle fait la tournée des libraires pour déposer ses livres. L’écrit semble retenir enfin cette femme de rêve et d’action qui, avant de se lever, laisse échapper : « Ma crainte fut toujours de voir les choses partir. »

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