Hafsia Herzi, espoir confirmé

À l’affiche de Française de Souad el-Bouhati, un film qu’elle porte véritablement, la jeune comédienne, césar du meilleur espoir féminin 2007 avec La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche, confirme son talent. Rencontre avec le nouveau phénomène du cin

Publié le 9 juin 2008 Lecture : 6 minutes.

Elle arrive au rendez-vous dans un café de l’avenue Kléber, essoufflée d’avoir arpenté, dans le mauvais sens, les grandes artères qui entourent la place de l’Étoile. S’excuse de son retard en s’installant et parle d’une voix fluette avec un imperceptible accent qui sent bon les calanques marseillaises : « La séance photos avenue Marceau a duré plus longtemps que prévu. J’espère que vous ne m’en voudrez pas de vous avoir fait attendre. »
Non, on n’en voudra pas à Hafsia Herzi, petit bout de femme au ravissant minois et au talent prometteur, de s’être égarée dans Paris, où elle vit depuis peu. Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, la jeune Marseillaise a crevé l’écran dans La Graine et le Mulet du réalisateur franco-tunisien Abdellatif Kechiche. C’était le premier film de l’actrice et son premier rôle de composition. Un rôle qui l’aura révélée. D’abord au grand public, sa belle performance ayant été saluée par tous, notamment lors de la scène où elle s’essaie à la danse du ventre.
Mais aussi à elle-même : « La Graine et le Mulet m’a appris jusqu’où je pouvais aller », explique-t-elle. La jeune femme fut en effet obligée de prendre une quinzaine de kilos, afin de se doter de ce petit abdomen grassouillet, indispensable attribut d’une danseuse du ventre digne de ce nom. « Au début, Kechiche m’avait demandé d’en prendre cinq, puis ce furent cinq autres et encore cinq ! » Pour ce faire, on lui a collé aux basques un coach « ès nourriture », chargé de s’assurer du fonctionnement permanent de ses mâchoires. Un véritable « harceleur », comme elle dit, qui fut de toutes ses ripailles pendant un mois, la tançant pour qu’elle finisse ses copieuses et riches assiettes. Un engraissement qui ne fut pas vain. Le rôle lui a valu d’afficher à son jeune palmarès le césar du meilleur espoir féminin, ainsi que le prix du meilleur espoir 2007 de la Mostra de Venise.

La Zidane du cinéma
Mais aujourd’hui, Hafsia est là pour la promotion de Française (voir encadré p. 96), un film de Souad el-Bouhati. Dans ce long-métrage, elle interprète Sofia, une jeune fille née en France de parents maghrébins, qui, après avoir passé une enfance heureuse dans sa cité de province, a été brutalement obligée de quitter l’Hexagone pour rentrer au Maroc avec sa famille. Sofia avait alors 10 ans. Devenue adolescente, elle peine toujours à se remettre de ce traumatisme et n’a qu’une obsession : retourner en France où elle pense que l’herbe est plus verte.
Bien qu’elle n’ait jamais souffert de déracinement, Hafsia assure s’être sentie proche de la jeune héroïne. « Je suis née en France d’une mère algérienne et d’un père tunisien et j’ai toujours vécu ici. L’histoire ne m’était néanmoins pas étrangère, car j’ai eu jadis une copine algérienne qui a vécu la même chose. Je me suis donc inspirée de mes souvenirs pour construire mon personnage », dit-elle en sifflant en un temps record son verre de Coca.
Contrairement à Sofia, Hafsia considère comme une « richesse » cette double appartenance qui n’est pas sans avantages. « En France, mes cinq frères et sÂurs et moi n’étions pas forcés de faire le ramadan. Je suppose qu’au Maghreb, cela aurait été différent. » La jeune actrice reconnaît d’ailleurs volontiers qu’elle aurait un peu de mal à vivre aujourd’hui en Afrique du Nord, à l’instar de son personnage. « Je suis bien en France », poursuit-elle comme pour mieux appuyer ses dires, en piochant dans la coupelle remplie de cacahouètes. Pour s’installer au Maghreb, donc, il lui faudrait une bonne raison.
On la croit sur parole. Celle qu’on surnomme à Marseille la Zidane du cinéma a déjà eu un mal « énorme » à quitter la ville de la bouillabaisse pour « monter à la capitale » où le succès a fini par l’entraîner. Elle sait donc ce qu’elle veut : résider à Paris et réaliser son rêve, faire du cinéma. Petite fille, ne se glissait-elle pas avec ravissement dans la peau des personnages de Jean de La Fontaine ? « J’adorais monter sur l’estrade pour réciter des fables. J’avais toujours vingt sur vingt. » L’écolière trouve très vite un public en ses camarades de classe qui l’applaudissent à la fin de chaque performance. Mais cet auditoire ne lui suffit guère. Car l’ambition sommeille déjà chez l’actrice en herbe. Elle berne aussi ses professeurs, pour le seul plaisir de tester sa capacité à endosser le rôle d’un instant. Convaincre par exemple qu’elle ne se sent pas bien, pour sortir de la classe et aller se changer les idées à l’infirmerie.
Tout le monde gobe ses bobards. « Je réussissais toujours à m’extraire de la salle et, dans ce cas, je me félicitais en me disant : ÂJ’ai bien joué. Voilà ce qu’on appelle suivre des cours de comédie à moindres frais ! Hafsia prend vraiment la pleine mesure de son talent lorsque ses copines la sollicitent pour lui demander de leur inventer des excuses bidons lorsqu’elles sont à court d’imagination.

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Juvénile hilarité
Ce souvenir la plonge dans une rafraîchissante et juvénile hilarité qui rappelle qu’elle n’est qu’une toute jeune femme d’à peine 21 ans, sur laquelle la notoriété est tombée subitement. Et a changé sa vie. « Soit je restais à Marseille pour poursuivre mes études de droit, soit j’allais à Paris pour prendre des cours de comédie et m’investir pleinement dans le métier », souligne-t-elle en réglant son compte à la dernière cacahouète.
Et elle s’investit pleinement maintenant que le cinéma lui ouvre les bras. Comme tous les jeunes comédiens, la petite Hafsia a couru les castings de Marseille et enchaîné des auditions à n’en plus finir, la rage et l’espoir vissés au cÂur malgré les « humiliations » des directeurs de casting. Un acharnement qui a fini par payer, car, depuis le succès de La Graine et le Mulet, les rôles s’enchaînent.

Humilité
La comédienne doit tourner deux longs-métrages cet été : l’un en France, le second en Tunisie. Elle va aussi réaliser son premier court-métrage avant de débuter au théâtre cet automne, dans La Fille du RER, de Jean-Marie Besset, une pièce inspirée d’un fait divers : une mythomane ayant accusé des jeunes d’agression antisémite. « Je dois avouer que j’ai un peu peur, confesse-t-elle. Peur que le regard du public me fasse stresser et oublier mon texte. »
Le trac, elle saura sans doute en faire son affaire. Comme elle a su dompter l’émotion qui l’étreignait lorsqu’elle donnait la réplique à Jean-Paul Belmondo dans Un homme et son chien, bientôt sur les écrans. Elle interprète dans ce film réalisé par Francis Huster la bonne du monstre sacré. « J’étais super impressionnée de jouer avec lui, mais je me suis maîtrisée pour ne pas rater les scènes ! » se souvient-elle en évoquant ce grand acteur « généreux et tellement simple ».
Et en ce qui la concerne, restera-t-elle simple malgré le succès ? Hafsia s’indigne : elle n’a aucune intention d’avoir la grosse tête ! D’ailleurs, raconte-t-elle en s’en amusant, elle ne se fait plus draguer que par « des vieux » depuis qu’elle a obtenu son césar, sa notoriété grandissante intimidant les gars de son âge. Si ce n’est pas une belle leçon d’humilité, ça ! « Et puis je garde toujours en tête cette réflexion de ma mère le jour où je lui ai appris que j’avais obtenu un rôle important dans le film de Kechiche. Elle m’a dit : « Ah c’est super, tu as enfin un CDI [contrat à durée indéterminée, NDLR] ! »
Hafsia conclut en riant : « Comédienne, c’est pas un CDI ! La preuve, j’ai un mal fou à trouver un appartement, on me demande des tas de garanties ! » Elle se lève et s’en va en oubliant son téléphone sur la table. Pas la grosse tête sans doute, mais un chouïa (charmante) tête de linotteÂ

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