Le bushisme, radioscopie d’un désastre

Publié le 5 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Si George Herbert Bush était un archimultilatéraliste, son fils George Walker est un archiunilatéralisme. Profondément sceptique sur l’utilité des traités internationaux, des institutions internationales et du droit international, l’actuel président a annulé, refusé de signer ou bloqué une série d’accords et de mécanismes internationaux : le protocole de Kyoto sur le changement climatique, le Tribunal pénal international, le traité sur les missiles antibalistiques. Ces manifestations d’unilatéralisme et de nombreuses autres étaient de surcroît gratuites. Il n’y avait aucune urgence à détruire ou à suspendre, en un instant, le travail de nombreuses années.
L’unilatéralisme de George W. Bush s’est aussi manifesté par la manière dont il a renoncé à un engagement américain actif, de haut niveau, dans deux régions chroniquement troublées, le Moyen-Orient et la péninsule coréenne. Là-dessus est arrivé le 11 Septembre. La bonne volonté engendrée dans le monde s’est rapidement dissipée lorsqu’il est apparu que les attentats avaient eu pour effet sur Bush de renforcer son aversion pour la diplomatie, les institutions et les alliances internationales. Pour ne prendre qu’un exemple, les États-Unis n’ont pas donné suite aux propositions du Conseil de l’Atlantique nord – instance dirigeante de l’Otan – de faire de la guerre contre les talibans en Afghanistan une opération collective. Le résultat, on peut le voir tous les jours sur les écrans de télévision.

Éliminer l’héritage de Clinton
Lors du second mandat de Bush, on a relativement corrigé le tir sur les questions de politique étrangère autres que l’Irak. L’administration a fait un effort pour se réconcilier avec ses principaux alliés, surtout en Europe. Elle a de nouveau considéré la diplomatie comme un instrument acceptable, et même nécessaire, de la défense des intérêts américains, tout particulièrement avec la Corée du Nord, où l’on a récemment connu un succès diplomatique louable, mais fragile. Sur d’autres points, l’administration, pour reprendre la formule du président, a « gardé le cap », ou du moins a essayé. Trois facteurs expliquent pourquoi il en a été ainsi. D’abord, Bush est arrivé à la Maison Blanche bien décidé à éliminer l’héritage de Bill Clinton, et même à faire le contraire. Je me souviens, en 2001, avoir entendu des amis qui étaient encore en fonctions me raconter qu’aux réunions de la Maison Blanche il était interdit de prononcer le mot de « mondialisation ». C’était « un mot à la Clinton ». De même, le réchauffement climatique et l’effet de serre étaient du « bla-bla à la Gore ».

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Exceptionnalisme américain
Ensuite, il y a la version Bush de ce qu’on peut appeler l’exceptionnalisme américain. Tous les présidents américains depuis George Washington ont plus ou moins cru à une forme de nationalisme qui attribue à la nation des qualités supérieures, des valeurs universelles, des intérêts mondiaux, des responsabilités uniques et un droit spécial d’utiliser sa puissance sans rivale et sans précédent pour défendre ce que ses dirigeants estiment être la bonne cause. Bush a pratiqué, et pratique encore, une variante extrême, sans compromis, de cet exceptionnalisme. Elle pose en principe, explicitement, que les États-Unis sont assez forts, militairement, politiquement et culturellement, pour avoir leurs propres règles, pour eux, et qu’il y en ait d’autres, pour le reste du monde.

Équation manichéenne
Le troisième facteur est la volonté de faire d’une division du monde en deux, le bien d’un côté, le mal de l’autre, le principe de base d’une organisation du système international et de la politique étrangère américaine, et de remplacer par ce manichéisme géopolitique un système fondé sur des règles. Cela a été une caractéristique de la politique étrangère de Bush depuis le début, mais surtout après le 11 Septembre. Le président a fait de la « guerre contre le terrorisme » une lutte épique contre les « suppôts de Satan », et il a exigé de tous les pays qu’ils choisissent leur camp : « Vous êtes avec nous ou contre nous. » Ceux qui sont avec les États-Unis ont droit à l’indulgence ; ceux qui sont contre le paient cher. Le président Vladimir Poutine a été « avec nous » dans la guerre contre le terrorisme, on a donc fermé les yeux sur ses exactions en Tchétchénie et sur l’enlisement des réformes politiques en Russie.
De l’autre côté de l’équation manichéenne, l’Iran a été classé « mauvais pays », les États-Unis ont donc refusé de négocier avec ses dirigeants. Et pourtant, ils avaient entretenu pendant quarante ans des relations diplomatiques nourries, régulières avec ce que le président Ronald Reagan a appelé « l’empire du Mal ». Ces trois facteurs – le rejet de l’héritage Clinton (qui a été du même coup le rejet de l’héritage de Bush Senior), l’exceptionnalisme exacerbé et le manichéisme – se retrouvent dans la politique du président en Irak.

Erreur historique
En s’en prenant à Saddam, Bush a cherché à jouer les durs, là où Clinton avait été trop conciliant. L’ultraexceptionnaliste qui est en lui a entrepris de renverser Saddam au mépris de la communauté internationale. Le manichéen a considéré Saddam comme l’incarnation du mal – l’imaginant même de mèche avec Oussama Ben Laden. C’était une erreur de jugement qui a amené le président à amalgamer deux ennemis différents et à considérer le changement de régime en Irak comme une suite naturelle et nécessaire au changement de régime en Afghanistan. Résultat, l’Irak est en passe de devenir la bévue de politique étrangère la plus grave, la plus lourde de conséquences de l’histoire de la République américaine.

Retour au multilatéralisme
Précisément parce que l’Irak est un désastre politique, l’une de ces conséquences pourrait être un renoncement national aux idées qui l’ont provoqué. Les candidats républicains, aussi bien que démocrates, à la présidence promettent plus ou moins explicitement une restauration de l’internationalisme américain traditionnel, autrement dit un rejet de l’unilatéralisme de Bush. Le président qui entrera en fonctions le 20 janvier 2009 aura besoin de toute l’aide possible du reste du monde. L’aide devra venir de pays dont les relations avec les États-Unis sont tendues mais aussi de l’ONU, aujourd’hui affaiblie, de l’Otan, embourbée en Afghanistan, et de l’Union européenne, qui entretiendra ses griefs à l’égard de Washington tout en essayant d’apaiser ses querelles internes.
Cependant, cette nouvelle administration aura quelques atouts. En plus de sa lune de miel avec le Congrès, elle aura aussi une période de grâce avec le monde. Une bonne partie des opinions défavorables à l’égard de l’Amérique qui ont été recueillies dans les sondages internationaux sont anti-Bush. Certains continueront à penser que les États-Unis sont souvent autoritaires et parfois odieux. Mais beaucoup seront prêts à donner à la nouvelle administration une chance de pratiquer une forme de leadership plus acceptable que celle de Bush.

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*Président de la Brookings Institution et ancien sous-secrétaire d’État américain.

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