Booba : ego, argot, cash-flow

Poids lourd du rap hexagonal, le chanteur d’origine sénégalaise a su se diversifier…

À 36 ans, Booba a sorti son sixième album solo, Futur, en 2012. © David Benoliel/AZ/Universal

À 36 ans, Booba a sorti son sixième album solo, Futur, en 2012. © David Benoliel/AZ/Universal

Publié le 3 janvier 2013 Lecture : 4 minutes.

« J’ai mené une guerre pour être où je suis. » Attablé dans un café de Boulogne, sa ville natale, Booba se prête pourtant volontiers aux questions à l’occasion de la sortie de Futur, son sixième album solo. On est loin de l’image qu’il s’est construite de rappeur sulfureux, montagne de muscles tatoués, amateur de grosses voitures et de belles femmes. Imposant physiquement, le Duc de Boulogne l’est aussi dans le paysage moribond de la musique urbaine en France, où il fait figure de poids lourd. À 36 ans, il tient toujours la dragée haute à la concurrence, collectionnant les records de ventes. « On ne m’a jamais aidé, bien au contraire, tient-il à rappeler. J’ai dû casser des portes et m’imposer. J’ai été le premier à avoir un label indépendant et à être disque d’or sans passer en radio. »

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« Lunatic », extrait de l’album « Lunatic » (2010, Tallac Records/Because Music)

Sa success-story, entamée dans les années 1990 avec le duo culte Lunatic, Élie Yaffa la doit avant tout à sa plume – argotique, ciselée, mal élevée et arrogante – et à son flow nonchalant servi par une voix rocailleuse. « Je suis le bitume avec une plume », chantait-il il y a quelques années.

S’il a ses détracteurs, qui voient en lui un apôtre de la violence et du matérialisme, il peut aussi compter sur des amis du milieu comme Oxmo Puccino. « C’est énorme qu’après tout ce temps il soit encore tant attendu. Avant de lui reprocher ses textes, avec lesquels il remplit Bercy, on devrait se poser des questions sur son impact. C’est un phénomène social à part entière, un personnage complexe », commente l’artiste. Des soutiens, Booba en trouve aussi chez des écrivains comme Thomas Ravier, qui, en 2003, lui a consacré un article dans La Nouvelle Revue française. Il y analyse la prose du rappeur à la lumière de Céline et de Genet, évacuant les critiques trop faciles pour se concentrer sur la richesse de la narration. « […] Qui est Booba ? écrit-il. Musicien, chanteur, rappeur, poète, gangster, troubadour, sociologue, pamphlétaire, imprécateur, chroniqueur, journaliste ? Quel est le genre ? Mais celui qui les regroupe tous, écrivain bien sûr. »

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« Strass et paillettes » (feat. Ali), extrait du premier album solo de Booba, « Temps mort » (45 scientific/BMG)

Booba, qui confie sans complexe ni fierté ne pas lire et ne pas avoir fait d’études – il est titulaire d’un brevet d’études professionnelles (BEP) en vente -, ne boude pas ce succès d’estime, mais le commente peu. « Au quotidien, j’amasse les punchlines [rimes percutantes, NDLR], et lorsque l’inspiration me vient, j’écris pendant de longues heures. Je pose les briques une à une. »

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Sur sa famille, Booba ne confie rien. En revanche une porte s’ouvre lorsqu’on évoque l’Afrique, qui se dessine en creux dans ses textes. S’il arbore fièrement ses origines sénégalaises – l’un de ses nouveaux titres s’intitule « Macki Sall Music » -, il y a chez lui une colère profonde. « Chevaux noirs dans moteur allemand / Ma rage est coloniale », lâche-t-il dans un autre titre.

Se mélanger ? Comme si, à Neuilly, ils voulaient avoir une famille de Maliens sur leur palier. C’est de l’hypocrisie !

Cette colère remonte à son premier voyage au Sénégal, quand il avait 10 ans. « Quand ma mère m’a emmené visiter la Maison des esclaves sur l’île de Gorée, ça a été un vrai traumatisme. D’autant que ma mère, que j’aime, est blanche. La cruauté de l’esclavage, en tant que métis, tu l’acceptes encore moins, tu te dis que c’est possible d’aimer de la même manière Blancs et Noirs. Alors quand tu découvres l’histoire et la pauvreté du pays quatre cents ans après, tu te demandes : « Pourquoi ? » Ils nous ont bien niqués ! »

« Caramel », extrait de l’album « Futur » (2012, Tallac records/Universal)

À cela s’ajoute le choc du racisme, en France. Il se souvient amèrement des questions sibyllines posées par les passants à sa mère, divorcée, sur les origines de son père. En échange linguistique dans une famille africaine-américaine de Détroit, aux États-Unis, il a étudié l’histoire de la lutte pour les droits civiques. « Le jour où le film Malcolm X est sorti, toute l’école est allée au cinéma. Là tu sens enfin que tu existes en tant que Noir ! En France, le communautarisme nous protégerait, on obligerait les gens à prendre l’histoire au sérieux. Se mélanger ? Comme si, à Neuilly, ils voulaient avoir une famille de Maliens sur leur palier. C’est de l’hypocrisie ! »

Booba vit désormais entre Paris, où il emploie 50 personnes pour sa marque de vêtements Ünkut, et Miami, « ce morceau de monde où il y a tout le monde, Blancs, Noirs, Haïtiens, Russes… ». Mais ce qui pourrait être assimilé à un combat pour l’égalité, le businessman, qui ne recrute pas « selon les diplômes », l’a transposé sur le terrain du néolibéralisme, au risque d’en faire oublier ses talents artistiques. « Aux USA, on s’en fout que tu sois noir ou blanc pour louer un appartement, du moment que tu paies. Ici, tu ne peux même pas virer un mec qui ne paie pas son loyer ! » Mais il a prévenu : « La politique ? Jamais, ça n’est pas mon métier. »

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Jean-Sébastien Josset (@jsjosset)

– Booba sera en concert au Zénith de Paris, le 12 avril 2013.

– Voir les webisodes de la tournée de Booba au Congo

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