Arlette Khoury-Tadié : sous le signe du verbe
Palestinienne d’origine syro-libanaise, Arlette Khoury-Tadié est professeure d’arabe. Elle n’a jamais remis les pieds à Gaza depuis 1956.
« C’était une Gaza de villas et de jardins. Le seul bruit qu’on entendait le soir était le ronronnement des pompes à eau qui irriguaient les vergers. » Aujourd’hui professeur de dialecte égyptien à l’Institut des langues et civilisations orientales (Inalco), Arlette Khoury-Tadié a fui sa Palestine natale pour l’Égypte à l’âge de 8 ans, en 1948, quand les armées arabes ont battu en retraite devant les forces du nouvel État d’Israël. Son souvenir de l’antique cité semble exhumé d’un âge d’or presque imaginaire. Aujourd’hui, Gaza n’évoque que l’image d’une terre assiégée.
Le paysage de Gaza s’est transformé avec la création de l’État hébreu et la première défaite arabe, se souvient la Palestinienne, qui s’y est rendue régulièrement depuis l’Égypte jusqu’à la crise de Suez en 1956 : « Le propriétaire de notre maison a vendu le jardin pour y construire des habitations, les rues auparavant paisibles se sont mises à grouiller, on y voyait des gamins ramasser les crottes de chameau pour en faire du combustible. » Arlette Khoury-Tadié n’a pas revu la Palestine depuis plus d’un demi-siècle. « Serais-je contente d’y retourner ? Oui et non. J’ai bien sûr très envie de revoir ma patrie et ce qu’elle est devenue. Mais j’ai aussi peur d’y perdre mes souvenirs, des images de paysages bibliques semés de cyprès et traversés de longues caravanes. »
Le Gaza de son enfance
Ses mémoires de Palestine, Arlette les a consignés dans Une enfance à Gaza, paru en 2002 aux éditions Maisonneuve & Larose. Un récit qui s’inscrit dans l’histoire aussi riche que tourmentée de la région. Sa famille maternelle, qu’elle rejoint à Alexandrie en 1948, est d’origine syro-libanaise, établie en Égypte après avoir fui les massacres antichrétiens qui ensanglantaient la Syrie : « Un de mes arrière-grands-pères, prêtre orthodoxe, a été exécuté pour avoir refusé de se convertir. Sa femme et ses enfants ont pu être sauvés par la femme de l’émir Abd el-Kader. Un autre de mes arrière-grands-pères descendait d’Arméniens d’Urfa, dans le sud de l’actuelle Turquie. Un de ses ancêtres s’était établi à Homs, en Syrie, après un pèlerinage à Jérusalem… »
La famille paternelle appartient à la bourgeoisie chrétienne de Naplouse et, en 1942, son père est envoyé à Gaza pour y diriger l’administration palestinienne. Ainsi débute l’odyssée d’Arlette, poussée sur les routes avant même d’avoir 3 ans. Après la défaite de 1948, la bande de Gaza passe sous le contrôle égyptien. Elle part pour l’Égypte mais son père reste à son poste jusqu’en 1956, quand l’offensive sur Suez amène l’État hébreu à occuper Gaza et le force à fuir à son tour. « Les Israéliens lui ont demandé de coopérer. Son refus lui a valu la prison. Au bout de quelques jours un homme est arrivé, David Ben Gourion, un copain d’avant 1947. À son tour, il lui demande de coopérer. Nouveau refus de mon père, qui interroge Ben Gourion : « Qu’aurais-tu fait à ma place ? » « Exactement la même chose que toi ! » lui répond le Premier ministre israélien. Trois jours après, il était libre. »
J’aimerais revoir ma patrie mais je crains de perdre mes souvenirs
Alexandrie la cosmopolite devient la seconde patrie d’Arlette, qui a vu, avec regret, la cité se transformer. « Tout est démoli pour construire des complexes à la Dubaï. La corniche était autrefois bordée de guinguettes, et il y avait des ribambelles de filles en bikini. La corniche est devenue une autoroute. Les plages ont disparu et les femmes sont voilées… »
La France ou rien
Vite, la Palestinienne exilée sur le Nil songe à un nouvel ailleurs : « À 20 ans, je ne me voyais qu’en France. » Si l’arabe est la langue de son père, sa mère lui a toujours parlé en français. Le parcours de cette enseignante des Langues O’ sera placé sous le signe du verbe. Lorsqu’elle arrive à huit ans au lycée français d’Alexandrie, elle parle la langue de Molière mais, ne l’écrivant pas, elle doit suivre les cours avec des enfants de 4 ans. Plus tard, à l’université, elle s’aperçoit que ses camarades ne comprennent rien au dialecte syro-libanais qu’elle emploie et se met à l’égyptien. À la fin des années 1960, les Langues O’ l’embauchent à Paris. « Je me suis aperçue que mon dialecte égyptien n’était pas au point ! J’ai dû travailler comme une folle pour me mettre à niveau ! » Les premières études de la professeure d’arabe ? La littérature française, qui lui permet de rencontrer son mari, alors professeur expatrié à Alexandrie. Jean-Yves Tadié deviendra le spécialiste d’un orfèvre du français, Marcel Proust.
Sur les bords de Seine où elle s’est amarrée, Arlette ne cesse de penser à ses deux patries, l’Égypte, où elle retourne, et la Palestine, où elle n’a pas osé remettre les pieds : « Je suis l’actualité palestinienne, je ne pourrais pas faire autrement. Quand j’ai vu les bombardements sur Gaza, hier, je n’ai pas pu fermer l’oeil. »
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