Nadia Beugré, une femme libre

Pugnace et déterminée, l’artiste ivoirienne a su imposer aux siens le choix de son métier et encourage les Africaines à s’émanciper. Un combat qui inspire son travail.

Nadia Beugré retrace les liens inextricables entre son pays et l’ancienne métropole. © DR

Nadia Beugré retrace les liens inextricables entre son pays et l’ancienne métropole. © DR

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 15 juin 2012 Lecture : 2 minutes.

De longues chaussettes rouges, un bermuda et une chemise sable qui rappellent la tenue des écoliers ivoiriens : Nadia Beugré se dépense sans compter dans la dernière création d’Alain Buffard. Proposant une version déjantée de L’Opéra de quat’sous de Kurt Weill et Bertolt Brecht, pimentée de l’esprit vaudou de Baron Samedi, le chorégraphe français a demandé à ses danseurs d’y mettre du leur. La Sud-Africaine Hlengiwe Lushaba convoque ses ancêtres zoulous, Dorothée Munyaneza évoque le génocide rwandais, l’Ivoirienne Nadia Beugré retrace les liens inextricables entre son pays et l’ancienne métropole, mais, surtout, grâce à son travail avec Alain Buffard, elle est parvenue, dit-elle, à transformer la douleur qui l’habite. « J’ai toujours dansé ma vie, avec ses hauts et ses bas, précise celle qui a grandi dans le quartier populaire d’Abobo, à Abidjan. Mais Alain nous a tellement demandé de mettre de nous-mêmes dans cette création que j’ai découvert qu’il n’y a pas que de la tristesse en moi. »

Tout en énergie sur scène, la danseuse et chorégraphe bétée est un fort tempérament, de ceux qui vous permettent de soulever des montagnes. Son père, un homme converti à l’islam et peu accommodant, a vite compris qu’il était préférable de respecter les humeurs de sa fille, même si elles devaient la conduire à courir derrière un ballon de foot aux côtés des garçons de son âge. Difficile de lui interdire de faire de la danse son métier alors que lui-même dirigeait un groupe traditionnel.

Tout en énergie sur scène, la danseuse et chorégraphe bétée est un fort tempérament.

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En 1997, Nadia Beugré crée avec Béatrice Kombé la compagnie Tché Tché, qui remporte le deuxième prix des Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’océan Indien, à Madagascar, en 1999. Une récompense qui permet à la compagnie de se faire remarquer et de se produire à l’étranger. À la mort de Béatrice Kombé, en 2007, Nadia Beugré, pourtant combative, n’a pas la force de poursuivre seule le travail entrepris. Elle ressent alors le besoin de se perfectionner afin d’assurer la relève et poursuit sa formation, d’abord auprès de la papesse de la danse africaine contemporaine, Germaine Acogny, puis auprès de la chorégraphe française Mathilde Monnier, qui a développé le festival Montpellier Danse, l’un des plus importants d’Europe. Nadia Beugré s’installe alors dans le sud de la France grâce à un visa pour la création de Culturesfrance.

Prometteur. Féministe engagée, la jeune artiste interroge les « espaces tabous » inaccessibles aux femmes dans son spectacle solo Quartiers libres. Une quête de liberté qu’elle rêverait de présenter en Côte d’Ivoire. « Bien souvent, constate-t-elle, les femmes se retrouvent marginalisées parce qu’elles se sont elles-mêmes laissé exclure de la vie sociale. Elles doivent apprendre à ne pas se laisser piétiner et à être libres de leurs mouvements et de leur propre corps. Le pire a été atteint pendant la guerre. On a humilié, violé, tué des femmes en toute impunité. » Mais, regrette-t-elle, « il n’y a pas d’espace pour les danseurs en Côte d’Ivoire ». Une situation que dénonçait déjà en 2009 son compatriote installé à Paris Georges Momboye et qui prive ce pays en pleine reconstruction de l’un de ses talents les plus prometteurs. Dommage !

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