Tunisie : trois maux sur Jendouba

Fawzia Zouria

Publié le 16 mars 2012 Lecture : 2 minutes.

L’autre jour, mon cousin de Jendouba m’a appelée. Jendouba, c’est une ville du nord-ouest de la Tunisie dont personne n’entend parler, sauf pour les catastrophes naturelles. Dédaignée par le pouvoir central, elle est raillée par les natifs de la capitale, qui l’appellent par son indicatif téléphonique, 08, un chiffre qui symbolise, à leurs yeux, le sous-développement et la déferlante de barbares !

« Du temps de la colonisation, s’est plaint mon cousin, les Français nous méprisaient et certains prétendent même qu’ils nous auraient affublés de ce nom de Jendouba, une déclinaison de "Gens d’en bas" ! Après l’indépendance, nous espérions être pris en considération, ce fut en vain. La réputation de pauvres gueux nous colle à la peau et le préjugé de ville insupportable vaut à notre cité le fameux sobriquet de "Jendouba aux moustiques !" Alors, tout naturellement, nous avons misé sur la révolution : relever la tête, voir débarquer le développement, les touristes et l’autoroute. Et qu’est-ce que la révolution nous a apporté ? Trois catastrophes, ma cousine. D’abord les salafistes, qui ont poussé comme des truffes – vous dites champignons, mais nous disons truffes parce que ce tubercule, qui pullule dans nos forêts, est réservé aux ânes. On se demande où étaient cachées ces barbes si noires qu’on dirait un paysage en deuil, qui traînent leurs djellabas dans la boue quand ils ne prennent pas d’assaut les mosquées. Ils veulent convertir grands et petits, et sont décidés à faire de nous un émirat. Tu imagines, Jendouba, un émirat !

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Et voilà que le pays s’aperçoit qu’on existe. La police débarque chez nous en même temps que les caméras, décidée à calmer l’ardeur des missionnaires qui veulent nous conduire au paradis, fût-ce contre notre volonté. Ces flics sont du genre à parler tunisois, réfléchir tunisois et tabasser tunisois. Ils ont donc cogné au hasard. J’ai dû me réfugier dans la mosquée, moi, ton cousin qui vénère le sang du Christ et qui a gagné ses galons de client le plus fidèle du bar Damous ! Et comme si ces deux maux ne suffisaient pas, voilà que le ciel se fâche, pisse comme vache. La crue a balayé routes et ponts sur son passage. Nous risquons la noyade, ma chérie, et je ne vois pas de Noé. Bon, les bigots et les gendarmes, on pouvait s’y attendre, mais que Dieu soit de la partie, non ! Si les islamistes l’ont emporté par les urnes, c’est parce qu’ils nous avaient promis des bons d’achat pour le bonheur et se disaient assurés de l’aide de Dieu. Ils se tourneraient les pouces pendant que le Seigneur réglerait les affaires courantes. Que te dire d’autre, cousine ? Peut-être te demander de me débrouiller un visa pour la France ? »

Puis mon cousin s’est vite ravisé : « En fait, non, quand je vois à la télé votre Marine Le Pen s’en prendre aux musulmans, franchement, je me dis, si c’est pour continuer à être traité de "gens d’en bas", autant que ce soit chez moi. Sait-on jamais, peut-être qu’un jour le Dieu auquel je crois, sans barbe ni fanfare, fera de nous les "gens d’en haut", et de Jendouba la capitale de la Tunisie ! »

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