Tunisie : « Gayday » et le triste sire

L’existence du magazine en ligne tunisien « Gayday » est menacée par le raidissement moral du pays. Un an après le vent de liberté, l’inquiétude gagne.

Depuis la mise en ligne du premier numéro de « Gayday », les fondateurs du titre rasents les murs. © D.R.

Depuis la mise en ligne du premier numéro de « Gayday », les fondateurs du titre rasents les murs. © D.R.

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 19 mars 2012 Lecture : 3 minutes.

« La liberté d’expression a des limites », déclarait, le 4 février, le quadragénaire en costume-cravate sur la grande chaîne privée tunisienne Hannibal TV. L’outrance ? La publication de Gayday, le webzine LGBT (lesbien, gay, bisexuel et transgenre) lancé dans l’enthousiasme libertaire de la révolution de janvier 2011. Le censeur ? Samir Dilou. Il est depuis décembre ministre des Droits de l’homme et de la Justice de transition, porte-parole du gouvernement tunisien et une étoile montante du parti islamiste Ennahdha. « Il faut respecter les lignes rouges fixées par notre héritage, notre civilisation et notre religion », a affirmé le moraliste, qui trace ainsi les frontières des licences sexuelles. Gayday et ses lecteurs « déviants » ont visiblement passé les bornes. « Je ne sais si ce magazine a obtenu une autorisation, mais je suis opposé à cette publication », a-t-il ajouté. « Pour vous, la déviance sexuelle est donc un trouble médical qu’il faut soigner ? » a pour sa part conclu l’animateur de la chaîne. Acquiescement ministériel.

Un an après avoir mis en ligne le premier numéro de Gayday, Fadi et Bilel rasent les murs comme des opposants traqués. Ils ne dévoilent pas leur nom, évitent les rencontres et ne parlent que via Skype. « La communauté LGBT est dans une situation délicate, explique Fadi, la montée en puissance du sentiment religieux remet en question notre sécurité. » L’homosexualité n’a jamais été bien considérée en Tunisie, mais le chantier moral que promet Ennahdha et l’activisme salafiste menacent de radicaliser une homophobie maintenant légitimée à l’échelon ministériel. Pourtant, en janvier 2011, le drapeau arc-en-ciel claquait dans les cortèges. La révolution de la dignité avait libéré l’expression. Pour Fadi et Bilel, c’était l’occasion de toucher la conscience collective. En mars 2011, ils ont lancé Gayday et une radio en ligne. La plupart du contenu est fournie par des contributeurs libres qui évoquent les droits des LGBT, l’actualité, mais aussi des récits de victimes de l’homophobie. « Un lecteur nous a dit : "On a un mag, une radio, à quand la Gay Pride ?" Mais ce ne serait pas accepté. Les mentalités restent hostiles, et briser le silence n’est déjà plus toléré », constate Fadi.

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"David contre Goliath"

Le sujet est tabou et, comme dans la majorité des pays musulmans, la loi sanctionne les pratiques homosexuelles. L’article 230 du code pénal les punit de trois ans de prison. Les fondateurs de Gayday militent pour son abrogation. Paradoxalement, avec le Liban et le Maroc, la Tunisie passe pour un des pays les plus gay friendly du monde arabe. Les cas de poursuites sont rares, et depuis quelques années les homos se montrent de plus en plus. Mais les vexations dont ils sont la cible restent nombreuses, jusqu’aux violences physiques. « Pas mal de politiciens compatissent mais ne s’expriment pas, la société civile ne bouge pas », regrette Fadi. « Cette question n’a jamais été étudiée mais elle se posera dans le futur, car il faut que ces gens aient des droits », assure Me Anouar Kousri de la Ligue tunisienne des droits de l’homme.

Du côté d’Ennahdha, on ne commente pas la déclaration ministérielle, en avouant aussi que la question n’a pas été débattue. Le 23 février, Amnesty International a exhorté Samir Dilou à revenir sur ses propos. « Cautionner la discrimination pour des motifs liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre revient à donner le feu vert aux violations les plus graves des droits humains », estime Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique de l’ONG. Reporters sans frontières a aussi exprimé son indignation. À Tunis, Fadi et Bilel ne rendent pas les armes. « On va se développer pour toucher au maximum l’opinion, mais c’est un peu David contre Goliath », assurent-ils.

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Par Laurent de Saint Périer, envoyé spécial à Tunis

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