Rokhaya Diallo, antiraciste de choc

Omniprésente dans les médias, dotée d’un franc-parler redoutable, Rokhaya Diallo est une chroniqueuse qui mène la lutte contre le racisme avec le sourire.

Rokhaya Diallo : « Des dérapages en apparence anodins véhiculent les pires idées racistes ». © Bruno Levy, pour J.A.

Rokhaya Diallo : « Des dérapages en apparence anodins véhiculent les pires idées racistes ». © Bruno Levy, pour J.A.

Clarisse

Publié le 14 février 2012 Lecture : 4 minutes.

Son sang n’a fait qu’un tour. Comment peut-on écrire, dans l’hebdomadaire féminin à grand tirage Elle, que les Noirs n’auraient découvert le chic qu’avec l’arrivée du couple Obama à la Maison Blanche ? Pour Rokhaya Diallo, il n’y a pas de dérapage anodin. Le racisme, il faut le combattre partout. Bec, ongles, et sourire.

Elle parle vite. Cheveux ras, visage d’ange légèrement maquillé, la jeune femme de 33 ans a l’air inoffensive. On en oublierait presque que ce sont des joutes verbales mémorables qui l’ont révélée. Qu’ils s’appellent Henri Guaino, conseiller spécial du président Sarkozy, Éric Zemmour, journaliste, ou encore Robert Ménard, ancien président de Reporters sans frontières, la militante « en croisade contre toutes les formes d’iniquité » se souvient, ravie, de leur avoir tenu tête. « Ils étaient contrariés de voir la parole d’une jeune femme mise au même niveau que la leur, clame-t-elle. Mais, dans le fond, ils savent que mon propos est inattaquable. » 

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Chroniqueuse, polémiste et animatrice sur deux stations de radio (RTL, Le Mouv’) et trois chaînes de télévision françaises (i>Télé, Canal+, La Chaîne parlementaire [LCP]), Rokhaya Diallo occupe l’espace médiatique pour mener son combat contre le racisme d’une manière qu’elle veut ludique. Le prix Cojep international reçu le 21 janvier sonne comme un rappel à l’ordre pour ceux qui lui reprochent d’amplifier le phénomène et de participer au repli identitaire de la société française.

Quintessence de cet antiracisme nouvelle formule : les Y’a Bon Awards, qui, depuis 2009, « priment » les pires propos racistes des personnes publiques.

Sa croisade ne s’est pas imposée du jour au lendemain. En 2000, pour financer ses études de commerce, Rokhaya Diallo prend un poste au Conseil local de la jeunesse, à La Courneuve, avec pour mission l’aide à l’insertion professionnelle des jeunes les moins favorisés. Bac+5, et après un bref passage par le groupe IBM, elle rejette le milieu formaté du négoce et ses cadres en costume-cravate. Née à Paris, élevée à La Courneuve, elle prend conscience de sa couleur dans un milieu professionnel où elle doit sans cesse justifier de son identité. En 2007, confrontée à une recrudescence du discours raciste, elle fonde, avec quelques copains, les Indivisibles. Référence explicite au premier article de la Constitution française, qui stipule que la République est « une et indivisible ». Billets d’humeur sur internet, clips hilarants, intervention dans les écoles, livre, Rokhaya Diallo traque et déconstruit le racisme avec humour. Quintessence de cet antiracisme nouvelle formule : les Y’a Bon Awards, qui, depuis 2009, « priment » les pires propos racistes des personnes publiques.

"Passeuse d’information"

Le magazine mensuel que cette altermondialiste présente depuis novembre 2011 sur LCP, Égaux mais pas trop, est à son image. Il ausculte la France de la diversité. Fille d’un mécanicien et d’une diplômée en couture, elle est la « passeuse d’information » idéale pour Luc Martin-Gousset, son producteur. « L’émission cherche sa voie, mais Rokhaya apprend. Simple, franche, elle ne se pose pas en séductrice, ce qui en fait une professionnelle agréable. » Souvent sollicitée par les politiques, Diallo rejette tout engagement partisan. « Il me faudrait fermer ma gueule », dit celle qui confesse une sensibilité de gauche, sans avoir jamais voté socialiste au premier tour. 

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En France, on est dans un vieux pays et un pays de vieux, où tout changement mobilise les résistances les plus farouches.

Rokhaya Diallo, chroniqueuse

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À ceux qui l’accusent de communautarisme, elle rétorque : « 95 % des féministes sont des femmes. Sont-elles pour autant communautaristes ? Ce soupçon n’est qu’une stratégie de diversion pour éluder la question majeure de la mise à l’écart des plus vulnérables : les femmes, les homosexuels, les Noirs… » Elle qui débat le week-end sur RTL avec les invités de l’émission « On refait le monde » de Christophe Hondelatte, déplore qu’il y ait si peu de femmes polémistes mais se dit tout de même consciente d’agacer. Des Africains la jugent complexée parce qu’elle revendique trop fort sa « francité », des Français trouvent suspect son attachement au Sénégal… « En France, on est dans un vieux pays et un pays de vieux, où tout changement mobilise les résistances les plus farouches. Le Sénégal séduit par ses jeunes et leur soif d’avenir. » Si Rokhaya Diallo comprend bien le wolof, elle ne le parle pas. « Le français fait partie de mon identité. C’est la langue dans laquelle je rêve. Mais on peut se dire à 100 % française et avoir une autre langue. Celle de ma mère, dans laquelle j’ai été bercée et réprimandée. La complexité d’une identité, c’est cela aussi. »

Ses détracteurs dépeignent une opportuniste ayant utilisé les Indivisibles comme rampe de lancement. « Je n’ai rien à prouver. Quand bien même, cela irait-il à l’encontre des causes que je défends ? » interroge-t-elle. Président et cofondateur de l’association, Gilles Sokoudjou la soutient : « Trois ans d’affilée à la tête d’une telle association, ça use. Mais elle reste présente. » Les coups de griffes la rendent lucide. « Peut-être qu’un jour je dirai la phrase de trop. Les médias trouveront quelqu’un de plus jeune ou de plus drôle et je serai vouée aux gémonies. » C’est la règle du jeu.

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