Témoignage d’esclave : Omar Ibn Said, un très subtil libre penseur

Omar Ibn Said est l’auteur, en 1831, de l’unique témoignage d’un esclave américain rédigé en arabe. Traduit en 1925, égaré, retrouvé en 1995, son manuscrit fait l’objet d’une nouvelle édition commentée.

Omar Ibn Said a glissé dans son récit des versets du Coran critiques envers ses « propriétaires ». © North Carolina Collection, University of North Carolina at Chapel Hill

Omar Ibn Said a glissé dans son récit des versets du Coran critiques envers ses « propriétaires ». © North Carolina Collection, University of North Carolina at Chapel Hill

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Publié le 26 janvier 2012 Lecture : 3 minutes.

Brut et sans fioritures. « The Life of Omar Ibn Said, Written by Himself » reste à ce jour le seul témoignage d’un esclave africain écrit en arabe. Né au Sénégal vers 1770, capturé à l’âge de 37 ans, la vie de cet homme qui devint une célébrité en Caroline du Nord suscite autant d’indignation que d’admiration. Musulman, Omar Ibn Said maîtrisait parfaitement l’arabe, appris au cours de « vingt-cinq années d’études », une exception dans un monde où les esclaves n’avaient pas accès à l’éducation… Son manuscrit d’une quinzaine de pages vient de faire l’objet d’une nouvelle traduction et d’un nouveau commentaire sous la direction d’Ala Alryyes, professeur à Yale.

Propriété du général James Owen (frère de John, gouverneur de Caroline du Nord), Ibn Said écrit son récit en 1831 à la demande des membres de l’American Colonization Association, un groupe qui encourage les propriétaires à libérer leurs esclaves. Après plusieurs citations du Coran, Omar Ibn Said détaille son histoire avec une simplicité désarmante. « Je suis né dans le Fouta-Toro, entre les deux rivières [sur la rive gauche du fleuve Sénégal, NDLR]. J’ai étudié dans le Boundou et le Fouta. » Omar serait donc aujourd’hui sénégalais, s’il n’avait rencontré « l’homme chrétien » : « [Après mes études] je suis retourné chez moi pendant six ans avant qu’une armée n’envahisse notre pays. Ils ont tué beaucoup de gens. Ils m’ont capturé, et m’ont vendu à un chrétien qui m’a emmené dans un grand bateau. » Un mois et demi de voyage et Omar Ibn Said découvre la ville de Charleston, aux États-Unis, où il est de nouveau vendu à « un petit homme mauvais, infidèle, qui n’avait pas peur d’Allah ». Maltraité, il décide de s’enfuir, marche pendant un mois et se retrouve en prison, « capturé par des hommes à cheval ». Il y passe « seize jours et nuits » avant d’être conduit chez les Owen, dans une famille qu’il qualifie de bonne. « Tout ce qu’ils mangent, je le mange, et tout ce qu’ils portent, ils me le donnent une fois usé », écrit-il.

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Subversif

Ils m’ont capturé, et m’ont vendu à un chrétien qui m’a emmené dans un grand bateau.

Omar Ibn Said

Selon Alryyes, l’auteur a subtilement inséré des éléments subversifs dans son récit. Lesquels étaient passés inaperçus en 1925 lors d’un travail réalisé par J. Franklin Jameson, fondateur de l’American Historical Association. Dans son analyse, ce dernier n’a pas saisi l’importance des versets coraniques de l’introduction. Pour Alryyes, l’utilisation de l’arabe a permis à Omar de critiquer sa condition sous le nez de ses propriétaires et, avec la sourate « Al-Mulk », il semble même leur refuser tout droit sur lui. Un brin provocateur, ce musulman converti au christianisme pointe aussi les similitudes des deux religions en présentant côte à côte les versets de la sourate « Al Fatiha » et le « Notre Père »…

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La vie d’Omar Ibn Said n’est pas le seul témoignage d’esclave connu, bien qu’il soit unique en son genre puisque écrit en arabe. D’autres autobiographies évoquent de l’intérieur l’histoire de la traite négrière, comme celle de Frederick Douglass (La Vie de Frederick Douglass, esclave américain, écrite par lui-même), lequel devint un abolitionniste célèbre. Omar Ibn Said, lui, est mort en 1863, un an avant la vague de libération qui a suivi la campagne militaire du général Sherman, en pleine guerre de Sécession.

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A Muslim American Slave : The Life of Omar Ibn Said, Wisconsin Studies, in Autobiography, traduit et édité par Ala Alryyes, 222 p., 19,95 dollars.

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