Mort de Nahel – Yassine Bouzrou : « Le policier n’avait aucune raison de tirer »

Si l’avocat de la famille de l’adolescent tué à Nanterre le 27 juin refuse de parler pour l’instant de racisme, il estime qu’en l’absence de danger justifiant la légitime défense nous sommes clairement devant un homicide volontaire.

L’avocat Yassine Bouzrou. © JOEL SAGET / AFP

FADWA-ISLA_2024

Publié le 3 juillet 2023 Lecture : 4 minutes.

Pénaliste redoutable, intervenant dans des affaires très médiatisées et complexes comme celle d’Adama Traoré, jeune homme de 24 ans mort en 2016 lors de son interpellation par les forces de l’ordre, celle de l’artiste russe Piotr Pavlenski qui a mis en ligne une vidéo intime de Benjamin Griveaux, ex-candidat à la mairie de Paris, ou encore celle qui oppose Atlas Kinder, orphelinat marocain, à l’influenceuse Poupette Kenza, accusée de détourner des fonds destinés à cette association, Yassine Bouzrou confirme son statut d’avocat le plus influent de France (selon le classement réalisé par le magazine GQ) en prenant la défense de la famille de Nahel, adolescent de 17 ans, né d’un père d’origine marocaine et d’une mère algérienne, tué par un policier par un tir à bout portant lors d’un contrôle routier à Nanterre, mardi 27 juin.

Un drame qui a provoqué une véritable onde de choc en France, où des émeutes ont éclaté dans tout le pays. Mais qui a aussi choqué au Maghreb et en Afrique d’une manière générale, le continent considérant qu’une partie de la jeunesse des quartiers français est aussi la sienne…

la suite après cette publicité

Mais bien que l’ONU ait d’ores et déjà rappelé à l’ordre la France, via une déclaration de Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, le 30 juin, à Genève, demandant au « pays de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre » et rappelant qu’il est « crucial que la police respecte à tout moment les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité », l’avocat préfère pour le moment, au vu de la sensibilité du sujet, se concentrer sur l’aspect purement juridique de l’affaire, et démontrer l’homicide volontaire. Mais il n’exclut pas d’aller sur le terrain des discriminations raciales au sein des forces de l’ordre si des éléments venaient à le prouver.

Jeune Afrique : Où en est-on de l’enquête sur la mort du jeune Nahel M., 17 ans, survenue le 27 juin lors d’un contrôle routier de la police ?

Yassine Bouzrou : Aujourd’hui, deux juges d’instruction ont été saisis afin d’instruire sur des faits d’homicide volontaire concernant le policier qui a tiré sur Nahel. Et nous espérons bien entendu que les faits s’élargissent à la complicité concernant le collègue du policier.

Sur la vidéo filmée par un témoin, on entend un policier menacer le conducteur de lui tirer une « balle dans la tête », puis son collègue lui dire : « Shoote-le ». Comment expliquer que le deuxième policier ne soit pas mis en examen ?

la suite après cette publicité

Nous estimons que le collègue du policier a commis une infraction de complicité d’homicide volontaire dans la mesure où il semble ordonner à son collègue de tirer puisqu’on entend « shoote-le ». L’enquête devra le confirmer, mais nous estimons que le deuxième policier doit être poursuivi pour complicité d’homicide volontaire.

Aujourd’hui, qu’attend la famille de Nahel, que vous représentez, de la justice ? Sur quels points comptez-vous la saisir ?

la suite après cette publicité

La famille de Nahel n’attend qu’une seule chose : c’est que la justice fonctionne correctement, ce qui signifie que les deux policiers qui ont commis des infractions soient poursuivis et condamnés.

D’un point de vue légal, dans quel(s) cas est-il possible pour un policier d’utiliser son arme lors d’un contrôle routier ?

D’un point de vue légal, un policier n’a pas le droit de tirer sur un véhicule, même s’il y a un refus d’obtempérer. Un policier n’est en droit de faire usage de son arme à feu que s’il se trouve en état de légitime défense. Si sa vie est en danger. Ce qui n’est pas le cas dans l’affaire Nahel.

En regardant la vidéo, la grande majorité des gens se demandent pour quelle raison le policier n’a pas visé les roues de la voiture par exemple plutôt que le conducteur pour immobiliser le véhicule ? 

En effet, il semble étonnant que le policier n’ait pas visé les pneus du véhicule ou un autre endroit. En réalité, le policier n’avait même pas à tirer du tout : s’il n’arrive pas à arrêter le véhicule, il aurait parfaitement pu interpeller Nahel plus tard, car il disposait de la plaque d’immatriculation de la voiture et des informations issues des caméras de vidéosurveillance. Il n’y avait donc aucune raison de tirer sur ce véhicule.

Nahel est un jeune Français d’origine maghrébine. Dans quelle mesure cela a-t-il pu influer sur la réaction du policier ? Autrement dit, y a-t-il du racisme derrière sa mort ?

En ce qui concerne les origines de Nahel, à ce stade, rien ne permet d’affirmer que le policier a pu agir pour des raisons ou des motifs racistes. L’enquête ne s’oriente pas vers cet aspect : la question est suffisamment sensible pour ne pas considérer qu’il y a un acte de racisme s’il n’y a pas d’éléments dans l’enquête qui nous permette d’aller sur ce terrain.

Mais si des éléments ou des indices venaient à apparaître indiquant qu’il y a eu du racisme à un moment ou un autre, bien entendu, nous en tirerons toutes les conséquences juridiques.

La mort de Nahel et la gestion des émeutes par les autorités françaises ont provoqué une véritable onde de choc en France, mais aussi au Maghreb et en Afrique d’une manière générale, où l’affaire est très suivie. Une partie de la jeunesse des quartiers français est aussi la sienne… Ce drame ne risque-t-il pas d’écorner un peu plus l’image de la France à l’international et sur le continent africain ?

L’image de la France risque en effet d’être écornée un peu plus avec ces récents événements. Et je remarque d’ailleurs que l’ONU a fermement critiqué la France sur ce terrain des violences policières et des comportements de la police. Cette affaire Nahel ne fait que renforcer les critiques légitimes à l’égard de la France sur ces questions-là.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Égalité, fraternité, racisme : la France, République des paradoxes

Yassine Bouzrou, alias « Relaxator »

Contenus partenaires