Géraud Magrin : « Il n’y a pas d’assèchement du lac Tchad depuis trente ans »
Géographe, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Géraud Magrin répond aux questions sur les causes des fluctuations de la superficie du lac Tchad et sur les manières de s’y adapter au mieux. Interview réalisée en marge des travaux du 8e Forum mondial sur le développement durable, qui a lieu à N’Djamena du 29 au 31 octobre 2010.
Jeuneafrique.com : Quelles sont les causes de l’assèchement du lac Tchad ?
Géraud Magrin : Il n’y a pas d’assèchement du lac Tchad depuis une trentaine d’années. Depuis la fin des années 70, les scientifiques s’accordent sur le fait que le lac est stable, à un niveau de petit lac qu’il a déjà eu par le passé. Nous sommes actuellement dans une période relativement aride, comparée à la période humide d’il y a quarante ans. Depuis les années 70 il y a eu une séparation du lac en deux parties, une cuvette sud et une cuvette nord. La cuvette sud est relativement stable et continue à être alimentée par le Chari et le Logone et il n’y a aucune raison que cela cesse sauf si on augmentait considérablement les prélèvements pour l’irrigation, en amont. La cuvette nord, elle, a été crée au moment de la sécheresse des années 70, une zone de haut fond s’est alors constituée. Le fait que celle-ci se soit végétalisée explique que la cuvette nord ne soit pas alimentée en eau tous les ans. Pendant les années 70 et 80, il y a eu plusieurs années où elle n’était pas alimentée en eau. Au cours de la période récente, il y a eu la plupart du temps de l’eau dans cette cuvette nord, mais pas toute l’année.
Le réchauffement climatique est-il responsable des fluctuations du lac Tchad ?
Aujourd’hui, les scientifiques ne s’accordent pas entre eux et le plus épais brouillard règne autour de la question des effets précis du réchauffement climatique sur le climat dans telle ou telle zone précise d’Afrique. Actuellement, on n’est pas en mesure d’affirmer que le réchauffement climatique va entraîner plus d’eau ou moins d’eau à un endroit défini. Pour le lac Tchad, s’il fait plus chaud et qu’il y a plus d’eau, personne ne sera capable non plus d’établir le bilan entre l’évaporation accrue et l’eau supplémentaire qui va arriver.
Comment percevez-vous le projet « Transaqua » imaginé par les pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad, soutenu notamment par le Premier ministre tchadien Emmanuel Nadingar et qui consiste à creuser un canal destiné à dévier une partie du cours de l’Oubangui, pour alimenter le lac Tchad ?
Il faut rappeler qu’il y a plusieurs idées de transfert des eaux et plusieurs scénarios envisagés. Le projet « Transaqua » imaginé à la fin des années 80 n’en est qu’un parmi d’autres. Ce projet est pharaonique, des hypothèses plus modestes sont donc aujourd’hui évaluées. La logique qui préside à « Transaqua » présente un certain nombre de problèmes. Ceci dit, je ne suis pas contre l’approfondissement des études pour mesurer plus précisément les impacts possibles de ce projet.
Aujourd’hui, des cultures de décrue sont très productives sur les rives sud, sur une bande de trente kilomètres environ qui va de Guitté à Gredaya. Elles fournissent des rendements très élevés et donc des revenus très importants aux producteurs. Cette zone se développe et vit grâce à une bonne relation routière avec la capitale. Si on augmentait de façon importante le niveau du lac et qu’on le ramène à un niveau de grand lac, le risque serait de perdre une partie de la superficie de ces cultures de décrue.
Une étude des conséquences possibles de Transaqua est donc indispensable, au niveau de la gestion de l’espace et du foncier et en matière de conséquences sur les systèmes de production agricole. Enfin, certains agriculteurs se sont rapprochés du lac et vont devoir reculer, mais l’ancienne ligne du village est toujours là. Si le lac monte, toutes les populations riveraines vont se retrouver au même niveau, ce qui va poser problème au niveau du partage de la terre et des règles d’accès au foncier.
Un des attendus implicite du projet de transfert est qu’un niveau des eaux relevé permettra de relancer l’irrigation. Mais, là encore, il faudra attentivement en étudier les enjeux : en Afrique sahélo-soudanienne, la longue histoire des aménagements hydro-agricoles est parsemée d’échecs (rentabilité, agronomie, etc.). Dans le contexte du lac, il faut se questionner sur la manière de gérer la salinisation et sur le potentiel irrigable sans pollution des eaux.
Mais ne pensez-vous pas que le transfert des eaux pourrait être profitable aux pêcheurs, par exemple ?
Le lac tel qu’il est aujourd’hui remplit beaucoup de services écosystémiques et il constitue un point d’appui pour les troupeaux en saison sèche. Il est possible que la production halieutique soit proportionnelle à la superficie inondée. Mais, les problèmes rencontrés par les pêcheurs ne peuvent pas être uniquement attribués à la situation de petit lac. D’une part, il y a beaucoup plus de pêcheurs aujourd’hui qu’autrefois et d’autre part, il y a beaucoup plus de consommateurs de poissons. La capitale N’Djamena est passée de 100 000 habitants en 1960 à 1 000 000 aujourd’hui. Sans oublier que le poisson est désormais plus difficile à attraper car il y a une végétalisation accrue du lac du fait du petit niveau actuel.
Quelles solutions alternatives au projet « Transaqua » proposez-vous ?
L’irrigation est une option, mais il y a des choix à faire. Si on irrigue davantage dans le Chari et le Logone, on va faire diminuer les eaux qui arrivent au lac Tchad. Mais si on décide d’augmenter les eaux du lac Tchad avec le projet de transfert et d’étendre les périmètres irrigués, il risque d’y avoir un problème de pollution dû à l’utilisation des engrais ainsi qu’un problème de salinisation, complexe à gérer. Mais d’autres choix que l’irrigation sont possibles. Il est possible d’améliorer certaines formes d’agriculture qui existent déjà comme l’agriculture de décrue. A l’image de la révolution « doublement verte » mise en place en Inde, on peut aussi essayer de mieux valoriser « l’eau verte » : cela consiste à essayer de sécuriser l’agriculture pluviale en apportant de l’eau aux cultures dans les moments critiques, entre deux pluies qui ne viennent pas par exemple. Cela permet de sauver une récolte et d’apporter une petite quantité d’eau avec des installations d’irrigation très légères, ce qui ne coûte pas cher et ne perturbe ni la structure sociale, ni le foncier.
Il faut donc aujourd’hui repenser une politique de développement rural plutôt que vouloir remplir à tout prix le lac Tchad ?
En effet, et cela implique de donner de l’argent à la recherche et de l’articuler autour du développement, mieux que cela se fait aujourd’hui. Il s’agit aussi de mettre en place des politiques de crédit en milieu rural, d’accompagner les producteurs (conseil, vulgarisation), de renforcer le suivi-évaluation, de construire des routes à partir des régions agricoles les plus productives. Il y a donc beaucoup à faire. Le projet de transfert est une idée simple alors que le développement durable apparaît beaucoup plus compliqué. Mais le lac Tchad est un peu à cette image et nous invite à la prudence par rapport à ce qui paraît simple. Quand on le regarde sur une carte de l’Afrique, on voit une petite tache bleue, qui paraît facile à cerner. Sur place, tout est plus compliqué, on est perdu dans les méandres de la végétation et des chenaux, les îles qui apparaissent et disparaissent au gré des crues. La réalité du lac, c’est aussi celle-là.
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