Syrie : la guerre d’Asaad contre Assad

Civils, anciens conscrits, déserteurs… Ils sont de plus en plus de Syriens à rejoindre les rangs de l’armée de libération mise sur pied par un colonel dissident, Riad al-Asaad, pour protéger les manifestants civils de la répression des hommes de Bachar al-Assad, et leur prêter main-forte.

Le colonel dissident Asaad (à g.) et le président syrien Bachir al-Assad. © Captures d’écran Youtube.

Le colonel dissident Asaad (à g.) et le président syrien Bachir al-Assad. © Captures d’écran Youtube.

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 15 novembre 2011 Lecture : 4 minutes.

« Non aux armes, non à l’intervention étrangère, non à la confessionnalisation. » Les trois principes sacrés qui ont guidé les premiers pas de la contestation sont en train de voler en éclats sous le feu nourri des forces de sécurité syriennes. « Un régime qui s’est construit par la force ne peut tomber que par la force », c’est aujourd’hui l’argument des officiers qui ont fait défection et d’une partie croissante de l’opposition qui réclame désormais une intervention du Conseil de sécurité de l’ONU.

"Bachar, ton tour arrive !"

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Parmi les civils, les plus réalistes font un douloureux constat : sept mois de manifestations non violentes n’ont apporté que la mort de 3 500 personnes. Pour beaucoup, le triomphe des rebelles libyens démontre que la voie pacifique conduit à une impasse. « Kadhafi, c’est fini, Bachar, ton tour arrive ! » ont scandé les opposants, le 21 octobre, dans des centaines de localités. Une semaine plus tôt, les Comités locaux de coordination (CLC) avaient affiché leur soutien aux déserteurs de l’armée en faisant du 14 octobre le « Vendredi des militaires libres ».

Joussiyé : environ 50 soldats ont fait défection et se sont mis à défendre les civils désarmés.

Rapport du 19 octobre de l’OSDH

ONG d’opposition, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) le reconnaît maintenant sans ambages : les combats se multiplient entre insurgés et forces de sécurité, faisant des dizaines de morts dans les deux camps. « Joussiyé : environ 50 soldats ont fait défection et se sont mis à défendre les civils désarmés, causant la destruction d’un bus rempli de chabihas [miliciens prorégime, NDLR] et d’un blindé », peut-on lire dans le rapport journalier du 19 octobre. D’après Nir Rosen, d’Al-Jazira, l’un des rares journalistes à avoir pu enquêter sur l’insurrection armée, les escarmouches avaient déjà fait sept cents morts parmi les forces loyalistes à la mi-septembre.

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Armée syrienne libre

Malgré la menace d’être exécutés par leurs officiers ou par les éléments de la sécurité militaire qui les encadrent, des militaires, écœurés de devoir tirer sur des civils sans défense – parfois des enfants –, ont déserté dès le début de la répression, en mars. Et ils sont de plus en plus nombreux, encouragés par la création, cet été, de l’Armée syrienne libre (ASL), qui fédère leurs forces.

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La bataille de Rastan, du 27 septembre au 2 octobre, a été son premier fait d’armes. Dans cette localité stratégique située à 180 km de Damas, entre les centres révolutionnaires de Hama et de Homs, des centaines de déserteurs se sont regroupés sous la bannière de l’armée dissidente. Il a fallu deux cent cinquante chars et plusieurs jours de violents combats pour que le régime reprenne le contrôle de la ville au désormais célèbre bataillon Khaled Ibn al-Walid.

La création de l’ASL a été annoncée le 29 juillet, depuis la Turquie, par le colonel déserteur Riad al-Asaad. Le 9 juin, une autre armée dissidente, le Mouvement des officiers libres, avait été constituée par le lieutenant-colonel Hussein Harmoush. Mais après le kidnapping de ce dernier par les services secrets syriens dans son exil turc et sa « confession » télévisée du 15 septembre, les deux groupes ont fusionné le 23 septembre sous l’enseigne de l’ASL.

Le grand projet du colonel dissident est de se constituer un sanctuaire, un Benghazi syrien.

À Antakya, ville turque située à 20 km de la frontière syrienne, le colonel Asaad a réuni un état-major de trente-six officiers. Face aux 200 000 soldats de l’armée régulière, il revendique aujourd’hui plus de 10 000 hommes organisés en vingt-deux bataillons répartis dans les principales villes et provinces du pays. Si les déserteurs en forment le noyau dur, des civils armés – pour la plupart des militaires à la retraite ou d’anciens conscrits – constitueraient le gros des troupes. Et, chaque semaine, de nouveaux éléments viennent en grossir les rangs.

La mission initiale de l’ASL était de ne riposter qu’en état de légitime défense et de protéger les manifestants en visant les éléments des forces de sécurité qui ne portent pas l’uniforme. De Homs, épicentre de la contestation dans l’Ouest, où est affecté le bataillon Khaled Ibn al-Walid, à Deir ez-Zor dans l’Est, de Deraa dans le Sud à Idlib dans le Nord, des unités s’opposent par les armes à la répression aveugle des forces loyalistes. Mais face à l’écrasante supériorité numérique et matérielle des troupes d’Assad – les insurgés ne disposent que de fusils d’assaut et de lance-roquettes RPG –, l’ASL a décidé de s’engager dans une stratégie plus offensive : « Sans la guerre, il [Bachar al-Assad] ne tombera pas », déclarait le colonel Asaad, le 7 octobre, à l’agence Reuters.

Veto chinois et russe

L’ASL recourt désormais à des opérations de guérilla pour harceler les forces de sécurité sur les voies de communication, à l’exemple de l’embuscade du 19 octobre, à Joussiyé, et cherche à renforcer ses moyens. Dans un article publié le 9 octobre par le quotidien Asharq al-Awsat, le colonel Asaad a déclaré qu’il était en train de réunir un arsenal plus important provenant exclusivement de Syrie : des relais au sein de l’armée régulière fourniraient clandestinement l’ASL.

Mais le grand projet du colonel dissident est de se constituer un sanctuaire, un Benghazi syrien, à proximité de la frontière turque, pour regrouper ses forces et les lancer à l’assaut des troupes du régime. Selon lui, une telle zone protégée favoriserait la défection d’unités entières, la dislocation des forces de sécurité et l’effondrement du régime. À cette fin, il demande l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne par le Conseil de sécurité de l’ONU, tout en rejetant fermement une intervention armée étrangère. Mais après les veto chinois et russe à la proposition de résolution n’imposant que des sanctions au régime syrien, une telle perspective semble pour le moment difficilement envisageable…

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