Pétrole contre oeuvres d’art

La Fondation Total consacre 5 millions d’euros à la culture. Une aide sérieuse apportée aux musées mais aussi un excellent moyen de nouer des partenariats économiques au Proche-Orient et en Afrique.

Soutenir financièrement des expositions comme « Route d’Arabie » permet de soigner son image. © Antoine Mongolin/Musée du Louvre

Soutenir financièrement des expositions comme « Route d’Arabie » permet de soigner son image. © Antoine Mongolin/Musée du Louvre

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Publié le 11 mars 2011 Lecture : 6 minutes.

Crise financière, écroulement des budgets publics, l’époque est rude pour les musées. Même pour les plus prestigieux. Le soutien des fondations privées n’en paraît donc que plus essentiel. Fleuron de l’industrie pétrolière française, avec 130 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009, le groupe Total a lancé sa fondation en 1992. Créée dans la foulée du sommet de Rio et d’abord consacrée à l’environnement, cette dernière englobe depuis 2008 des programmes culture et patrimoine. Exposition « Routes d’Arabie » au musée du Louvre, « Angola. Figures de pouvoir »* au musée Dapper, « Présence africaine » au Quai Branly, en 2010, la Fondation Total était partout où pétrole et culture peuvent faire bon ménage. Avec 18 salariés et un budget de 50 millions d’euros sur la période 2008-2012, elle est la plus richement dotée des fondations d’entreprise françaises. En 2009, elle a consacré près de 5 millions d’euros à la culture.

Pour la multinationale, les bénéfices directs du mécénat culturel sont évidents. Soutenir financièrement des expositions ou des musées est d’abord un excellent moyen de soigner son image. Comme toutes les entreprises pétrolières, Total jouit d’une réputation sulfureuse : dégâts écologiques, relations avec des régimes peu recommandables, chiffres d’affaires insolents en pleine crise sociale… « Le bénéfice en termes d’image est très important », précise Charlotte Dekoker, responsable à l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical). « En période de crise, explique-t-elle, continuer de faire du mécénat culturel est aussi un moyen de prouver sa bonne santé économique et de lancer un signal fort à ses concurrents ! » À la Fondation Total, on veut croire que le mécénat culturel n’est pas seulement un vecteur de relations publiques. « Ce qui est intéressant, c’est d’utiliser la culture pour mieux comprendre les communautés avec lesquelles on travaille. L’action de Total sera d’autant plus pérenne que les communautés avec lesquelles nous traitons se sentiront respectées », avance Catherine Ferrant, déléguée générale de la Fondation.

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L’exposition « Routes d’Arabie », à laquelle la Fondation Total a consacré 200 000 euros et qui s’est tenue au Louvre de juillet à septembre 2010, est le parfait exemple de cette convergence d’intérêts. Fruit d’une volonté politique au plus haut niveau, elle illustre la coopération culturelle entre la France et l’Arabie saoudite. Avec, comme ­arrière-pensée, le resserrement des liens économiques entre les deux pays et, en particulier, le cofinancement par Total et Saudi Aramco (le premier producteur mondial d’or noir) d’une raffinerie de 9,6 milliards de dollars (7,2 milliards d’euros) sur les rives du golfe Persique. « Nos partenaires saoudiens se sont rendu compte qu’ils pouvaient valoriser leur culture, qu’on les reconnaissait comme une communauté avec laquelle on aimait partager l’Histoire, une esthétique, et pas seulement comme un pays pétrolier avec qui on faisait affaire », complète Catherine Ferrant.

Vestiges archéologiques

Avec la crise et la compression des dépenses publiques, « les musées ont de plus en plus besoin de mécènes privés », concède Béatrice André-Salvini, chef du département des antiquités orientales au Louvre. Aujourd’hui, la moitié du budget de ce musée est composée de fonds privés. Mais cette dépendance ne risque-t-elle pas d’avoir un impact sur la qualité des expositions ? Les musées ne prennent-ils pas le risque de devenir de simples relais dans des tractations économiques qui les dépassent ?

« Il ne faut pas oublier que c’est toujours le musée qui a l’initiative des expositions. C’est lui qui a l’expertise, qui connaît ses collections et celles des autres musées. On ne commande pas d’expositions, on décide simplement de s’y associer ou pas », affirme Catherine Ferrant. « De manière générale, les mécènes sont très respectueux des choix des musées », confirme Charlotte Dekoker. Pour l’exposition « Angola. Figures de pouvoir », c’est le musée Dapper qui est entré en contact avec la Fondation Total. « La filiale sur place était très intéressée, et Total a donc pu jouer le rôle de facilitateur, notamment avec le ministre de la Culture en Angola », ajoute la déléguée générale.

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Car en plus d’asseoir son prestige à l’international, la collaboration avec une fondation comme celle de Total permet à un musée d’avoir accès aux plus hautes autorités culturelles et politiques du pays. Pour la construction du département consacré aux arts de l’islam, le Louvre a bénéficié du mécénat du roi du Maroc, Mohammed VI, mais aussi du prince saoudien Al-Walid Ibn Talal. Premier mécène industriel français, Total a joué un rôle de facilitateur et a engagé près de 12 millions d’euros dans cette aventure.

Autre crainte liée à la crise : que la culture ne soit délaissée au profit de mécénats à la fois plus visibles et plus « utiles » socialement. Pour Alain Seban, président du Centre Georges-Pompidou, « le mécénat culturel pourrait être durement affecté par la crise. Le prestige social qui s’y attache et le projet culturel soutenu deviennent suspects dans des temps difficiles où tout ce qui peut paraître ostentatoire est banni et tout ce qui n’est pas directement utile est mis en cause ». Dans les faits, les budgets dévolus à la culture par les entreprises ont tous été réduits. Mais à la direction de la Fondation Total, on est formel, la crise n’aura que peu d’impact sur son engagement.

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Au contraire, l’activité de la Fondation est appelée à se diversifier. Déjà, Total est partenaire sur de nombreux sites archéologiques, comme en Syrie ou au Yémen. Au cours de forages, il arrive que des vestiges archéologiques soient découverts, et la Fondation a pris l’habitude de s’investir ensuite dans leur mise en valeur. Mais elle soutient également des artistes et envisage de financer, à partir de 2012, des résidences d’artistes venant de pays extérieurs à l’OCDE, qui seraient formés en France. « Nous voulons entrer dans l’art contemporain et soutenir la création dans des pays avec lesquels on est en contact, et en particulier avec l’Afrique, où la création est particulièrement vivace », explique Catherine Ferrant.

Bénéfice fiscal

Mais si le mécénat culturel a pour but d’établir une relation apaisée avec la population des pays pétroliers, n’est-il pas regrettable que les expositions aient surtout lieu à Paris et qu’elles s’adressent donc, en priorité, au public français ? « Bien sûr, répond Catherine Ferrant. Il faut que nous puissions faire bénéficier les pays de cette richesse culturelle. En Afrique, ce n’est pas toujours facile parce qu’il y a peu de musées qui présentent les garanties nécessaires pour transporter les œuvres. » La Fondation va néanmoins faire voyager à Dakar (bibliothèque de l’Université Cheikh-Anta-Diop), du 11 mars au 26 juin, l’exposition « Présence africaine », présentée auparavant au Quai Branly. L’exposition « Angola. Figures de pouvoir » a elle aussi vocation à voyager dans quelques pays d’Afrique. Total envisage également d’offrir son expertise au Nigeria, un pays désireux d’investir dans la culture et de développer une véritable politique muséale. Une aide qui vient à point nommé dans ce pays stratégique où le groupe pétrolier envisage d’investir près de 20 milliards de dollars dans le gaz et l’exploration offshore. Sans compter que la loi relative au mécénat et aux fondations ouvre droit à une réduction d’impôts de 60 % du don, à hauteur de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes. Un bénéfice fiscal non ­négligeable !

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*À voir tous les jours, sauf le mardi, jusqu’au 10 juillet au musée Dapper, 35, bis rue Paul Valéry, Paris 16e.

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