Aya Cissoko, de la boxe à Sciences-Po

L’ex-championne du monde de boxe, fille d’émigrés maliens, livre une autobiographie saisissante. Et ne mâche pas ses mots sur le contexte politique français.

Aya Cissoko. © Jacques Torrégano/Fédéphoto pour J.A.

Aya Cissoko. © Jacques Torrégano/Fédéphoto pour J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 15 février 2011 Lecture : 5 minutes.

Danbé : un petit mot de deux syllabes qui signifie beaucoup. C’est du malinké, et si l’on voulait à tout prix trouver un équivalent français, ce serait « dignité ». Danbé, c’est aussi le titre d’un livre écrit par Aya Cissoko et Marie Desplechin. Un titre à mille lieues des racoleurs Brûlée vive ou Dans l’enfer des tournantes qui encombrent les étals des librairies. Un titre simple, sobre et mystérieux qui se garde de tout mélodrame pleurnichard. Et pourtant : à la lecture, les larmes viennent. Danbé, c’est l’histoire d’Aya Cissoko, née en 1978 à Paris et aujourd’hui étudiante à Sciences-Po.

Il serait possible de jouer sur le pathos, d’évoquer la mort du père et de la petite sœur lors de l’incendie criminel du 22, rue de Tlemcen, dans la nuit du jeudi 27 au vendredi 28 novembre 1986, d’en rajouter avec le décès du petit frère onze mois plus tard. Il serait aussi possible d’écrire une fable exemplaire où une jeune femme issue d’un milieu défavorisé, fille d’émigrés maliens, se sortirait de tous les mauvais pas grâce à la pratique d’un sport, la boxe, à un haut niveau, jusqu’à devenir la meilleure du monde dans sa catégorie. Le happy end serait celui-ci : bien que gravement blessée lors de son dernier match, la belle jeune femme trouva encore la force de reprendre ses études… Mais Aya Cissoko a décidé d’écrire son histoire d’une autre manière – « De raconter les faits sans y mettre d’affect. D’éviter le pathos. » Et elle l’a fait avec son amie, l’écrivaine Marie Desplechin, qui lui a dit : « Il n’y aura rien dans ce livre qui ne t’appartienne pas. » Pourquoi, dans ce cas, redire ce qui a été si bien écrit ? Tentons plutôt de voir Aya Cissoko derrière quelques mots.

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Famille. « Elle est essentielle, mais il faut savoir couper le cordon pour vivre sa propre existence. Surtout dans les familles africaines », dit celle qui a perdu trois des siens pendant son enfance. Avant d’ajouter : « Ma mère a été une guerrière contre la famille – c’était nous trois contre le reste du monde ! » Gravement malade, par trois fois endeuillée, Massiré Cissoko a dû se battre contre ceux qui voulaient choisir à sa place, contre ceux qui ont refusé de l’aider alors qu’elle était seule et sans moyens pour élever deux enfants, contre ceux qui voulaient qu’elle rentre au Mali.

Mali. « Depuis l’âge de 15 ans, j’espère faire ce voyage entre femmes, avec ma mère. J’y suis allée quand j’avais 2 ans, mais je n’en garde aucun souvenir. Maintenant, sa santé s’est améliorée, et je pense qu’il ne peut pas y avoir de meilleure initiation que de partager ce moment avec elle », affirme Aya Cissoko. Entre elle et sa mère, il n’y a qu’une langue possible : le bambara. Et si la jeune femme se revendique totalement française, elle se dit aussi « très fière de [sa] part africaine ». De nature curieuse, elle a toujours été à l’affût des informations concernant son pays, à l’écoute de la moindre anecdote. Si son père était originaire de Kakoro Mountan, Aya Cissoko n’envisage pas forcément un retour au village même. « J’ai plutôt envie de m’imprégner d’un pays et de ses odeurs, de me fondre dans la foule, de fouler du pied la terre de mes ancêtres. J’aimerais découvrir le Mali dans sa diversité géographique. J’ai un peu peur, mais pas trop : je serai traversée par un nombre important d’émotions – mais ce sera surtout du bonheur. »

Combat. « C’est celui de tous les jours : rester digne, rester libre, rester intègre », lance Aya Cissoko. D’elle, on attendait qu’elle parle de la boxe, ce domaine où elle a excellé. Elle a voulu boxer alors qu’elle était encore à l’école primaire, sa mère a cédé. Persévérante, soutenue par des entraîneurs passionnés, elle sera championne du monde de boxe française en 1999 et 2003, de boxe anglaise en 2006… Mais il n’y a dans sa réserve rien de surprenant pour celui qui a lu son livre, où elle écrivait déjà : « Je ne m’habituerai jamais à la déconvenue de la victoire, la même au long des années. Je n’arriverai pas à me réjouir. Je suis toujours allée au combat sans haine ni rage. […] Je n’aime pas faire mal. » D’ailleurs, commentant le mot « victoire », elle dit simplement : « Même si je suis malinkée, j’adore cette phrase qui définit les Bambaras : ceux qui ont refusé de se soumettre. » Essayons donc un autre mot, plus précis.

Ring. « C’est une belle illustration de ce que peut être la vraie vie. Il ne faut jamais faillir. » Elle n’en dira pas plus. Sans doute parce qu’elle ne cherche ni à placer sa réussite sportive au-dessus du reste de sa vie, ni à s’ériger en exemple. Marie Desplechin confirme : « Aya ne souhaite pas être héroïsée. Son histoire est belle parce qu’elle est digne. » Pourtant, la fille de Ménilmontant pourrait, mieux que bien d’autres, donner des leçons de courage et d’abnégation.

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Blessures. Il y a eu les deuils. Il y a eu aussi la fracture des cervicales lors des championnats du monde de 2006, aggravée par une opération suivie de complications, et l’interdiction de remonter sur un ring. « J’ai plus de mal à me remettre des blessures occasionnées par des gens en qui j’ai eu confiance que des blessures physiques. Je suis très rancunière », confie-t-elle pourtant avec un sourire. Pas de doute, c’est une forte tête. « Elle est droite, loyale, dure, radicale, très fragile, très intelligente, très réservée, très vulnérable », ajoute Marie Desplechin. Ce qui explique que certains mots suscitent des réponses tranchées… ou distanciées. À « racisme », elle répond « ignorance ». À « Amour », elle répond – après un soupir et un « Ah… Amour ! » – « c’est le respect de l’autre ». À « enfants », laconique : « J’espère que cela m’arrivera un jour. » En revanche, lorsque le mot « politique » est lâché, la parole se libère. Aya Cissoko s’anime d’une colère franche, réfléchie, contenue, née d’une véritable douleur. Aujourd’hui étudiante à Sciences-Po grâce à l’aide de la fondation Lagardère, elle dit : « Je déteste le contexte politique actuel. Le gouvernement accentue les clivages entre les différentes composantes de la société, alors que son rôle premier est d’assurer la cohésion des individus. Il piétine cet héritage républicain auquel je tiens. » Le discours, à gauche toute, est argumenté. Aya Cissoko se désole que « la réussite se mesure à la capacité à amasser » et que le citoyen soit réduit à son « potentiel de consommation ». Sa voix est douce, son visage calme, mais elle cogne sur les « repris de justice du gouvernement », sur les « donneurs de leçons », sur la « staracadémisation de la politique »… Se lancera-t-elle dans l’arène ? « Je suis trop entière et j’ai du mal avec le politiquement correct. Ça risque de poser problème… »

Avenir. « J’ai du mal à me projeter », dit-elle, avant d’évacuer la question sur ses choix d’orientation à Sciences-Po. Marie Desplechin peut néanmoins répondre pour elle : « Elle ne sera pas là où on l’attend. Ce ne sera jamais la jeune­-black-mignonne-issue-de-la-diversité de service. Elle est trop entière, trop autoritaire, trop indépendante ! »

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