Le gazoduc ouest-africain sous pression

Longtemps attendu, l’acheminement de gaz nigérian vers le Bénin, le Togo et le Ghana a débuté. Alors que l’instabilité du Delta du Niger laisse planer des doutes sur l’approvisionnement du pipeline, Accra affirme ses ambitions en matière de production.

Publié le 15 juillet 2010 Lecture : 4 minutes.

Vingt-huit ans… Vingt-huit ans après le lancement du projet, le gazoduc ouest-africain (West African Gas Pipeline, WAGP) fournit enfin, depuis le 20 mars, ses cargaisons de gaz au Ghana. Discrètement. Si l’événement n’a pas fait la une de la presse, c’est que l’on craignait dans le pays un nouveau faux départ. Un an plus tôt, déjà, le gazoduc avait craché ses premiers mètres cubes avant qu’un acte de sabotage dans le Delta du Niger n’en suspende la distribution pour plusieurs mois.

L’approvisionnement vient de reprendre, partiellement. De 0,8 à 1,5 million de m3 par jour ont été débités depuis deux mois sur les 3,8 millions attendus et une capacité totale de 4,8 millions. La mise en service prochaine d’une station de compression à Lagos doit permettre d’augmenter le débit, tandis que les centrales de Lomé, Cotonou et Tema (Ghana) achèvent de passer au gaz.

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Des milliards de m3 de gaz gaspillés

À l’origine de ce projet de 1 milliard de dollars (environ 820 millions d’euros) pris en charge par une coentreprise baptisée West African Pipeline Company (Wapco), il y a le constat d’un immense gaspillage : en 2003, le Nigeria disperse ou brûle dans ses torchères 19 milliards de m3 de gaz par an, l’équivalent d’un quart de la consommation électrique africaine. En 1982, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) décide d’acheminer ce gaz vers les pays voisins par un gazoduc de 678 km de long. Large de 50 cm environ, il est pour l’essentiel immergé, s’étirant à une vingtaine de kilomètres des côtes.

Dans un premier temps, les 3,8 millions de m3 livrés quotidiennement se répartiront entre l’État ghanéen, qui a commandé 3,5 millions de m3 par jour, et la Communauté électrique du Bénin, agence chargée de la production et de la distribution de l’électricité au Togo et au Bénin. Celle-ci recevra 0,3 million de m3 par jour, de quoi produire 20 mégawatts (MW) dans chacun des deux pays. Ce qui permet d’assurer 10 % à 15 % des besoins électriques (lesquels, en constante augmentation, s’élèvent à 130 MW en moyenne pour le Togo, et jusqu’à 170 MW en pointe pour le Bénin).

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Pour ces pays, le gaz, qui revient 30 % à 50 % moins cher que le pétrole, apparaît comme une source d’énergie privilégiée. Au Bénin et au Togo, deux nouvelles centrales bimodales (gaz ou fuel) espèrent ainsi pouvoir passer rapidement au gaz : celle opérée par ContourGlobal à Lomé (100 MW) et celle de Maria Gleta (80 MW) au Bénin. Des négociations sont en cours avec le premier. « Les clients se pressent pour signer avec N-Gas [le consortium de producteurs qui alimente le gazoduc en gaz nigérian, NDLR] », assure Alexis Gbaguidi, coordonnateur national du projet WAGP au Bénin. 

Un potentiel énorme

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Si l’offre est aujourd’hui limitée, la capacité potentielle du gazoduc, elle, est énorme : 13,3 millions de m3 par jour, « à condition d’installer de nouveaux compresseurs pour augmenter le débit, et de diversifier les sources, en exploitant par exemple les gisements découverts récemment au Ghana et au Nigeria, précise Alexis Gbaguidi. Ce serait largement suffisant pour couvrir les besoins actuels du Bénin, du Togo et du Ghana. Cela permettrait même au Togo et au Bénin d’exporter de l’électricité. »

Une diversification de l’approvisionnement permettrait aussi de réduire les incertitudes liées à l’instabilité dans le Delta du Niger et à la crainte de nouvelles interruptions. « Ce projet a toujours été considéré comme très risqué. Et la rupture d’approvisionnement n’est pas le seul danger. Il y a trois ans, un bateau a planté son ancre dans le pipeline et l’a coupé en deux. On a mis sept ou huit mois à le réparer », rappelle Jack Derickson, directeur général de Wapco.

Dans ce contexte incertain, c’est surtout vers le Ghana que se tournent les regards. Avec la découverte du gisement de Jubilee, le pays pourrait à son tour approvisionner ses voisins, ce qui permettrait de répondre aux besoins futurs – avec la construction de nouvelles centrales dans les années à venir – et de trouver une alternative au gaz nigérian. Accra prévoit déjà d’investir 775 millions de dollars pour en exploiter 4,2 millions de m3 par jour. De quoi remettre en cause l’approvisionnement en gaz nigérian ?

« Le gazoduc est en accès libre. Nous pouvons donc acheter le droit d’y faire transiter notre gaz », avance Alfred Ahenkorah, secrétaire de direction de la Commission de l’énergie du Ghana. Une deuxième source d’approvisionnement pourrait même faciliter l’extension du gazoduc vers la Côte d’Ivoire et le Sénégal. « Compte tenu des problèmes de délestages dans la région, ce serait une bonne chose si le Ghana l’approvisionnait, témoigne Tcharabalo Abiyou, directeur général de l’énergie au ministère des Mines et l’Énergie du Togo. Reste à savoir si les investissements seront suffisants pour pouvoir exporter le gaz de Jubilee. » Vu la lenteur du projet à aboutir, on peut craindre le pire.

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