Cinéma : sur les traces de Yasmina Khadra

Le Français Alexandre Arcady adaptera pour le cinéma et la télévision le dernier roman de l’écrivain algérien, Ce que le jour doit à la nuit. Le romancier et le réalisateur étaient à Oran et à El Maleh, en Algérie, pour repérer les lieux du tournage.

Publié le 14 mai 2009 Lecture : 5 minutes.

Décidément, le dernier roman de l’auteur algérien ­Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit (Julliard), n’a pas fini de faire parler de lui. Vendu à près de 230 000 exemplaires en France depuis août dernier, élu meilleur livre de l’année 2008 par le magazine Lire et lauréat du prix France Télévisions, il sera adapté sur grand écran en 2010 par le réalisateur français Alexandre Arcady. À l’occasion du repérage des lieux du tournage du film à Oran et à El Maleh – Rio Salado dans le roman –, la production a souhaité créer l’événement en conviant une dizaine de journalistes français. Mais les enjeux de ce voyage de presse peu banal ont vite dépassé le champ purement artistique.

En tout premier lieu parce que, Arcady-Khadra, c’est la rencontre symbolique entre un pied-noir de confession juive et un ancien mili­taire algérien. Ce dernier – Mohamed Moulessehoul de son vrai nom – est incontestablement l’écrivain algérien le plus en vue de sa génération. Traduit dans plus de trente pays, l’auteur des Hirondelles de Kaboul et de Morituri fait figure ­d’icône en son pays. Les droits de son best-seller L’Attentat ont même été achetés par des producteurs américains pour une adaptation au cinéma.

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« Enfant d’Algérie », comme il le dit lui-même, Arcady a rejoint la France à l’âge de 12 ans dans des ­circonstances douloureuses. Cet exil et le destin des pieds-noirs ont inspiré l’ensemble de sa carrière, du Coup de Sirocco à Là-bas, mon pays en passant par Le Grand Pardon. Malgré les diffé­rences fla­grantes qui opposent les deux hommes, Alexandre Arcady et Yasmina Khadra se sont retrouvés dans Ce que le jour doit à la nuit. Ce roman raconte le destin de Younès, un jeune Arabe rebaptisé Jonas, qui va vivre à Rio Salado chez son oncle parfaitement intégré à la communauté pied-noir. Dans cette fresque sur l’Algérie contemporaine, l’écrivain explore sans manichéisme, et avec la verve qu’on lui connaît, la douloureuse cohabitation de deux peuples amoureux de la même terre. « Lorsque j’ai lu ce livre, explique Alexandre Arcady, j’ai tout de suite été happé par l’histoire. C’est comme si ma carrière tout entière avait tendu vers ce projet. » 

Voyage dans le temps

Un projet de taille puisque seront produits un long-métrage et trois téléfilms de quatre-vingt-dix minutes pour France Télévisions. Le tournage n’est pas prévu avant 2010, mais on parle déjà d’Isabelle Adjani – elle-même de père algérien – pour un rôle-titre et de Roschdy Zem. Le budget avoisine les 17 millions d’euros, le plus important jamais dépensé en Algérie depuis Un thé au Sahara (1990), de Bernardo Bertolucci.

Ce film fait donc figure d’ovni dans un paysage cinématographique algérien quasi désert : très peu de longs-métrages y sont produits, et le ­nombre de salles ne cesse de diminuer. Les cinéastes étrangers privilégient le Maroc ou la Tunisie, où l’industrie du septième art y est plus développée. Alexandre Arcady s’engage d’ailleurs à former quelques techniciens sur place et, bien sûr, à embaucher des figurants. « J’espère que ce film donnera envie à d’autres réalisateurs de venir en Algérie et d’y travailler », ajoute-t-il.

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En découvrant Oran, on ne peut qu’y croire, tant la ville s’y prête. Elle a, certes, perdu de son lustre et les immeubles Art déco sont un peu délabrés. « Mais tout est encore là. Il suffirait de quelques coups de pinceau pour retrouver l’Oran d’autrefois », explique Yasmina Khadra, qui endosse avec joie l’uniforme du guide touristique. Intarissable sur cette cité magnifique et brouillonne, dont les étroites rues en pente et l’ouverture sur la mer font penser au port de Naples, il nous entraîne dans un véritable voyage dans le temps. L’espace d’un instant, sur le parvis de la chapelle Santa Cruz, on se surprend à imaginer cet Oran des années 1930 où cohabitaient diverses communautés de confessions différentes. Ému mais concentré, le chef décorateur montre un immeuble Art déco décrépi dont on devine la splendeur passée. Sur la place de l’Émir-Abd-el-Kader, de nombreuses façades seront repeintes pour les besoins du tournage. « On imagine les familles qui se promènent, les femmes avec des ombrelles », se prend à rêver Alexandre Arcady avant de revenir à la réalité.

Le voyage est aussi placé sous le signe de la politique. Arcady a tenu à inviter Fadela Amara, secrétaire d’État française à la Politique de la ville, d’origine algérienne elle aussi. « J’ai tout de suite accepté », raconte l’ancienne militante de l’association Ni putes ni soumises. « Je veux m’investir dans ce projet qui parle de mes deux amours : la France et l’Algérie. Ce film est une main tendue entre ces deux pays, c’est un symbole très important », affirme Fadela Amara, avant d’ajouter que cela s’inscrit aussi « dans son engagement pour l’Union pour la Méditerranée ». Fallait-il pour autant lier des considérations politiques à cet événement ? Certains en doutent. Pour le rédacteur en chef d’un journal algérien, « il est dommage que la culture soit toujours utilisée comme alibi. Il faut arrêter, tempête-t-il, les récupérations politiques de cet ordre. »

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Côté algérien, l’accueil est plus que chaleureux. À El Maleh, une petite ville de campagne de 16 000 habitants, où l’église de la grand-place a été transformée en librairie, le maire s’amuse de la présence des médias. « Jamais je n’aurais pensé que ma ville puisse attirer autant de journalistes ! » s’exclame-t-il. Ces honneurs, il les doit à Yasmina Khadra, qui, en 2006, a trouvé à El Maleh l’idée de son roman. « Après avoir lu votre livre, on ne voit plus cette place de la même manière », lui lance une habitante de la ville et fidèle admiratrice. 

« Fils de la Casbah »

Et Yasmina Khadra de poursuivre la visite. À quelques kilomètres, une ferme perchée sur une colline. C’est là que sera tournée une des scènes fondatrices du film, dans laquelle un pied-noir, riche propriétaire terrien, justifie auprès de Younès le bien-fondé de la colonisation.

Pour Arcady, adapter Ce que le jour doit à la nuit est aussi l’occasion de raconter l’histoire de l’Algérie autrement, « du point de vue des indigènes », affirme-t-il. À ceux qui doutent de sa capacité à passer de l’autre côté de la barrière, il répond qu’il n’a ­aucune raison de s’excuser, lui « le fils de la Casbah, qui a grandi au sein d’une famille de huit personnes dans à peine 60 m2 ». « Je n’ai pas vécu comme un colon », tranche-t-il. Reste que ­l’homme semble nourrir une vision assez idéaliste de cette époque. Lors d’une conférence de presse donnée à Oran le 24 avril, il n’hésite pas à affirmer avec émotion : « J’ai un rêve : qu’on abolisse les visas pour les pieds-noirs qui souhaitent venir en Algérie. » À Rio Salado, c’est avec solennité qu’il dirige la visite d’un cimetière où sont enterrés des pieds-noirs. « J’ai voulu leur rendre hommage », dit-il.

Souhaitons que le film par­vienne à restituer avec le plus de fidélité ­possible le magnifique roman de Yasmina Khadra et qu’il fera preuve d’autant de finesse et de tendresse pour raconter les profondes douleurs qui ont traversé pendant un siècle la société algérienne.

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