Maroc : El Othmani, numéro deux du PJD, relance le débat sur l’avortement
Saadeddine El Othmani, le numéro deux du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), a assuré lundi dans une tribune être « pour la légalisation de l’avortement dans certains cas au Maroc ». Une position courageuse dans un pays où il y aurait entre 600 et 800 avortements clandestins par jour.
La question de la légalisation de l’avortement se pose de manière aiguë au Maroc, y compris dans les rangs des islamistes. Le débat a été relancé lundi par Saadeddine El Othmani, président du Conseil national et numéro deux du Parti de la justice et du développement (PJD), qui a assuré dans une tribune publiée dans le quotidien arabophone Al-Massae être « favorable personnellement à l’évolution de loi sur l’avortement, mais dans certains cas seulement ».
Psychiatre de profession, El Othmani est le premier au sein du PJD à se positionner clairement en faveur de l’évolution du code pénal marocain, qui compte pas moins de dix articles de loi criminalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le dirigeant du PJD s’appuie notamment sur l’article 453, le seul qui autoriserait, s’il est bien interprété, l’avortement à condition que la santé de la mère soit mise en danger par sa grossesse.
« La jurisprudence islamique autorise l’avortement dans certains cas »
Afin d’étayer son positionnement, le Dr Elotmani évoque aussi la « réalité sociale » marocaine et, surtout, se réfère au « corpus jurisprudentiel islamique » qui distingue trois périodes de grossesse : « la période pré-fœtale (avant 6 semaines), celle où la vie anime le fœtus (moins de 18 semaines) et celle d’après. El Othmani rappelle que dans la tradition malékite, le courant religieux majoritaire au Maghreb, « l’interruption de grossesse est interdite après 40 jours (6 semaines), sauf dans les cas de nécessité contraignante, qui doit faire objet d’un débat ».
>> Voir l’infographie : entre clandestinité et tabous, dix choses à savoir sur l’avortement au Maghreb
Mais El Othtmani cite aussi une fatwa promulguée en 1990 à la Mecque par le Conseil de la jurisprudence de la Ville sainte de l’islam. Celle-ci stipule « qu’avant 120 jours de grossesse, si des examens médicaux attestent que l’enfant à naître présente déjà des malformations de nature à rendre sa vie difficile et douloureuse, l’avortement est toléré, sur demande des parents ».
La prise de position d’El Othmani semble donc marquer un tournant dans le débat sur la question de l’avortement au Maroc. Même si, pour le dirigeant, islamiste, les cas spécifiques qui permettraient d’avoir recours à l’IVG restent très marginaux : maladies, viol, inceste… Quant à la question du remboursement par la sécurité sociale, elle demeure également en suspens.
Un reportage d’Envoyé Spécial à l’origine du débat
Le débat sur l’IVG a été relancé récemment au Maroc par la diffusion d’un reportage d’Envoyé Spécial de la chaîne France 2. Le 27 janvier, Chafik Chraïbi, président de l’AMLAC (Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin) a été démis de ses fonctions de chef de service de la maternité des Orangers par le ministre de la Santé, car le reportage sur les avortements clandestins au Maroc avait été tourné dans son service et qu’il y témoignait.
>> Lire l’interview du docteur Chraïbi : « La question de la sexualité reste un tabou au Maroc »
Dans une interview accordée à Jeune Afrique, celui-ci assurait que le ministère de la santé avait pris la décision de le licencier car il lui reprochait notamment les chiffres que l’AMLAC avance, c’est à dire entre 600 et 800 avortements clandestins par jour au Maroc. Des données que conteste également El Othmani dans sa tribune, estimant « que les statistiques fournies par la société civile sont exagérées et excessives ». Le numéro deux du PJD assure néanmoins que le « phénomène de l’avortement clandestin existe bel et bien et qu’il est en croissance constante ».
Même si elle exprime un sentiment vraisemblablement minoritaire au sein du PJD, la tribune d’El Othmani semble s’inscrire dans une démarche interne au parti : le ministre de la Santé El Hossein El Ouardi s’était dit en effet « très favorable » à un débat sur l’avortement et le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane a récemment annoncé la création d’une commission qui devra se pencher sur la question.
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