« Les écailles d’or » : premier polar de Parker Bilal, entre islamisme et capitalisme

Sous le pseudonyme de Parker Bilal, l’écrivain anglo-soudanais Jamal Mahjoub livre un roman policier à fortes connotations politiques.

Comme les rues du Caire, le roman fourmille de personnages âbimés et d’histoires cruelles. © Elena Perlino / Picturetank

Comme les rues du Caire, le roman fourmille de personnages âbimés et d’histoires cruelles. © Elena Perlino / Picturetank

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Publié le 15 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

Une gamine disparue dans les rues du Caire. Sa mère, toxicomane, qui année après année revient en Égypte à la recherche de son enfant. Makana, ancien flic d’origine soudanaise, hanté par la mort de sa propre fille. Saad Hanafi, richissime homme d’affaires. Adil Romario, footballeur à succès. La liste des personnages se croisant dans Les Écailles d’or, premier polar de Parker Bilal, pourrait se poursuivre tout au long de cette colonne de texte. Cela se justifierait presque, tant leurs interactions, leurs dialogues, leurs affrontements font le sel de cette énigme bien plus politique qu’il n’y paraît. L’auteur, à n’en pas douter, s’y entend pour camper des individus fragilisés par les accidents de leur existence et rongés par leur passé, même quand ils sont au sommet du pouvoir.

Parker Bilal ? Si ce pseudonyme semble renvoyer à la fois au Soudan et au Royaume-Uni, ce n’est pas un hasard. Né à Londres en 1960, Jamal Mahjoub l’a choisi en référence aux deux branches de sa famille. Auteur de plusieurs romans publiés sous sa véritable identité (La Navigation du faiseur de pluie, Nubian Indigo, Le Télescope de Rachid, etc., chez Actes Sud), le romancier a longtemps vécu à Khartoum, pays de son père, avant de partir étudier la géologie à Londres, puis de s’installer à Copenhague (Danemark) et de se poser – depuis seize ans maintenant – à Barcelone (Espagne).

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Il y a trois ans, il s’est lancé dans une série de romans policiers autour de la figure bien amochée de l’ex-flic Makana. "Je me suis toujours intéressé au roman policier, confie-t-il. J’avais depuis de nombreuses années l’intention de bâtir une carrière littéraire parallèle qui me permettrait de vivre comme auteur. Je n’apprécie pas particulièrement l’enseignement et les romans littéraires sont de plus en plus difficiles à publier comme à vendre. C’était donc une façon de faire ce que je voulais et selon mes propres règles."

Les Écailles d’or est le premier de la série à paraître en français, alors que le romancier est en train d’achever le cinquième. "Après ? Je ne sais pas. Mais il est certain que ce qui m’a poussé à écrire ces livres, c’est l’envie d’évoquer les événements de ce siècle, qui se sont bousculés dans une courte période de temps." Sans surprise, mais avec subtilité, Les Écailles d’or traite donc de l’individualisme mercenaire propre à nos sociétés contemporaines, mais aussi du fondamentalisme musulman et de la férocité capitaliste à l’oeuvre en Égypte comme au Soudan.

"Ces forces ont modelé la région, sans forcément s’opposer, dit le romancier. Ni l’une ni l’autre n’ont réussi à résoudre les problèmes, sur le plan social comme politique. En revanche, il me semble que ce que l’on a pu voir lors des révolutions de 2011, c’est l’expression du désir longtemps refoulé d’échapper à ce monde binaire pour permettre l’émergence d’une troisième voie, plus complexe – un désir de justice et de libertés démocratiques pour le peuple."

La démocratie : un mensonge inventé pour que nous restions à notre place

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Fin observateur, Bilal-Mahjoub ne tombe pas dans le piège du roman à thèse, privilégiant l’action. Mais ses idées nourrissent des dialogues piquants entre les protagonistes. "- Ça dure depuis des années. Nous n’aurons pas de repos tant que ces kufar ne seront pas chassés du pouvoir, tant que le véritable islam ne sera pas rétabli dans notre pays.

– Et pourquoi pas par des moyens démocratiques ?

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– La démocratie, c’est comme l’amour : un mensonge inventé pour que nous restions à notre place, satisfaits de notre sort.

– Certains en diraient de même de la religion. […]

– Vous avez une langue dangereuse, Makana. Vous devriez faire attention, on pourrait bien vous la couper."

Tiens, ce Makana semble tout de même ressembler un peu à Jamal Mahjoub… Surtout quand il déclare : "J’essaie de retourner au Soudan une fois par an. Beaucoup de choses ont changé, mais un nombre surprenant d’entre elles sont restées identiques, notamment le régime en place et l’inertie qui permet aux dissensions internes de s’envenimer."

Les Écailles d’or, de Parker Bilal, traduit par Gérard de Chergé, Seuil, 430 pages, 22,50 euros

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