Maroc : la revue de détail du dernier recensement

Loin de certaines lectures exagérément dramatiques, les premiers chiffres du recensement général confirment des tendances connues. Revue de détail.

Publié le 10 avril 2015 Lecture : 5 minutes.

En septembre 2014, dans le cadre du sixième recensement général de la population et de l’habitat (RGPH), des milliers d’enquêteurs ont parcouru le royaume chérifien trois semaines durant pour recueillir directement auprès des Marocains des informations détaillées sur leur mode de vie. Après avoir présenté ces premiers chiffres, le 16 mars, devant le roi Mohammed VI, le haut-commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, en a livré une lecture devant la presse.

Transition achevée

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Si on le compare au chiffre du recensement de 2004 – 29 891 701 habitants -, l’effectif de la population marocaine a augmenté de 13,2 %, soit une progression annuelle moyenne de 1,25 %. Le rythme de la croissance démographique continue de baisser : il était de 1,38 % par an entre 1994 et 2004. Pour Lahlimi, il est observable que la transition démographique est presque achevée. Le taux de fécondité est passé de 7,2 enfants par femme en 1960 (date du premier recensement) à 2,1 en 2014. Les experts considèrent que ce niveau est celui qui assure le renouvellement des générations.

Des résultats et (déjà) une polémique

En 2004, lors de la présentation par le même Lahlimi du chiffre de la population légale lors du précédent RGPH, certains avaient raillé l’émotion du haut-commissaire. Mais le scepticisme ne s’est pas pour autant dissipé.

Pourrait-il l’être quand on observe le doute qui saisit jusqu’aux grandes démocraties ? Lors de la conférence de présentation des résultats, Lahlimi n’a pas éludé la question : "Je suis surpris par les personnes qui non seulement doutent des chiffres que l’on a présentés, mais avancent les leurs propres sur je ne sais quelle base. […] Ces personnes doivent comprendre que jamais, ni dans le passé ni aujourd’hui, les résultats des recensements n’ont été altérés."

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Succès pour le haut-commissaire

Travailleur et discret, économiste de formation, véritable bras droit du Premier ministre Abderrahmane Youssoufi durant le gouvernement d’alternance, cet ancien dirigeant de l’Union nationale des étudiants du Maroc (Unem) a entamé en octobre 2014 sa douzième année à la tête du Haut-Commissariat au plan (HCP). Une longévité inédite à ce niveau de responsabilités au Maroc. Il a d’ailleurs rang de ministre. Durant son mandat, Lahlimi a réussi à transformer cette vieille institution dont l’objet initial fleure bon l’économie dirigiste pour en faire l’outil de statistiques et d’études dont doit se doter toute administration moderne. Ses innombrables publications, ouvertes aux fonctionnaires, aux médias et aux partenaires internationaux, ont rendu accessibles les questions de comptabilité nationale et les études prospectives novatrices. Elles sont d’ailleurs souvent citées en référence.

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Axe Casa-Kénitra

Les débats sur la crédibilité des données démographiques sont monnaie courante et sont alimentés à la fois par la méfiance vis-à-vis du pouvoir et par la propension populaire à gonfler les chiffres. Ainsi, selon le dernier recensement, la ville de Casablanca abrite 3,06 millions d’habitants, ce qui paraît considérable. Mais la vox populi n’en a cure ; les estimations les plus folles sont ancrées de longue date dans les esprits : 5, 6, 10 millions même selon certains. Au doigt mouillé, sans aucun outil statistique bien sûr. Officiellement, la grande région Casablanca-Settat compte 6,8 millions d’habitants, soit un cinquième de la population du royaume. Deuxième région la plus peuplée : Rabat-Salé-Kénitra, avec 4,5 millions d’habitants. Une très forte concentration, certes, mais qui gomme en réalité les nuances. Les deux grandes régions précitées comprennent toutes les deux d’importants centres urbains mais aussi de vastes zones rurales. Mais l’axe Kénitra-Casablanca-Settat concentre le tiers de la population marocaine.

De grands pôles urbains émergent

Si l’on tient compte de l’ancien découpage régional – seize régions, contre douze dans la nouvelle carte établie par le ministère de l’Intérieur et publiée par décret du 20 février 2015 (B.O. du 5 mars 2015) -, huit régions sur seize concentrent plus de 70 % de la population du pays. Sans surprise, elles comprennent toutes de grands centres urbains. À l’échelon plus réduit, en plus de Casablanca, quatre autres préfectures et provinces dépassent le million. Il s’agit de Marrakech, Fès, Tanger-Asilah et Kénitra.

L’urbanisation progresse modérément

En 2014, le taux d’urbanisation atteint 60,3 %, contre 55,1 % en 2004. En chiffres absolus, la population se divise comme suit : 20,4 millions de citadins et 13,4 millions de ruraux. Une urbanisation galopante ? Pas vraiment. La population des villes continue de croître, mais celle des campagnes connaît un solde quasi nul par rapport à 2004. Explication : l’exode rural est comblé par la natalité. Autrement dit, en dix ans, les campagnes n’ont exporté que leur excédent. Même si les citadins sont plus nombreux, les campagnes ne sont pas encore un désert, et le Maroc reste un grand pays rural. D’ailleurs, les projections du HCP prévoient que le taux d’urbanisation atteindra 68,5 % de la population en 2050.

Hausse relative du nombre d’étrangers

Avec 86 206 étrangers recensés, on est loin des prévisions alarmistes de certains experts présumés des migrations. Certes, leur nombre a augmenté de 67 % par rapport à 2004 (ils étaient alors 51 435), reflet de l’attractivité du royaume et de la densification des mouvements migratoires. "Cette hausse s’explique aussi par l’installation de nombreux étrangers qui auparavant étaient considérés comme des touristes", relève le HCP. Pour rappel, le Maroc comptait, selon le recensement de 1971, 112 000 étrangers. Tout est relatif.

Le Sahara se peuple rapidement

La région de Oued Ed-Dahab-Lagouira, la moins peuplée du royaume, est celle qui a connu le plus fort taux d’accroissement annuel moyen de la population. Entre 2004 et 2014, le nombre d’habitants y est passé de 99 367 à 142 955, soit une progression de 3,7 % par an. Depuis 1994, ce chiffre a quadruplé. En forte hausse également, la population de la région de Laayoune-Boujdour, qui compte 367 758 habitants, contre 256 152 en 2004. Alors que le Maroc fait pression sur le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) pour que le recensement des réfugiés sahraouis en Algérie soit public, cette forte progression de la population au Sahara sous administration marocaine rend encore plus compliquée l’opération – interrompue – d’établissement des listes d’électeurs pour un référendum d’autodétermination au Sahara occidental.

Logistique : grosse machine, gros coûts

Le HCP a formé et missionné 76 430 agents pour mener à bien, en association avec le ministère de l’Intérieur, le recensement. Trois des sondeurs sont décédés lors de l’opération, dont deux de cause naturelle, quatorze accidents de la route ont été enregistrés et quatre enquêteurs se sont mariés durant leur mission. Cette année, tous les sondeurs étaient assurés. Le budget global du RGPH 2014 s’est élevé à 864,7 millions de dirhams (environ 80 millions d’euros), répartis entre les travaux cartographiques (16,5 %), l’exécution du recensement (78 %) et l’équipement du Centre de lecture automatique des documents (5 %), qui exploite les données en respectant leur confidentialité.

Ce n’est pas fini !

Ces premières données doivent être complétées et détaillées en deux étapes. Les enseignements relatifs aux conditions de vie et autres chiffres socio-économiques devraient être disponibles fin avril. Ils seront présentés aux niveaux national et régional, avant d’être affinés au niveau communal à partir de septembre et s’échelonner jusqu’à la fin de l’année 2015.

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