N’ayons pas peur de toucher aux constitutions !

Publié le 9 avril 2015 Lecture : 3 minutes.

Yann Gwet est un entrepreneur et essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Cameroun.

Bas les pattes ! Du Burundi aux Congo, en passant par le Rwanda, le message est identique : "on ne touche pas à la Constitution". Tel est le mot d’ordre des gardiens, occidentaux, du dogme démocratique, et de leurs relais dans les sociétés civiles africaines. La Constitution serait un texte "sacré", vis-à-vis duquel il est recommandé d’entretenir un rapport déférent. Tel un tableau de maître, la Constitution se contemple. Tel est un tableau de maître elle est immuable. Tel un tableau de maître elle est éternelle.

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Pourtant les observateurs, même inattentifs, auront remarqué que seuls les peuples africains sont invités à regarder leurs constitutions les mains attachées dans le dos. Sous d’autres cieux les constitutions sont pourtant "toilettées" (pas "touchées", c’est vrai) à l’occasion. Sous ces cieux, il est admis que les constitutions ont une date de péremption ; il est admis qu’elles vieillissent mal et qu’à l’occasion quelques retouches judicieusement administrées sont nécessaires afin qu’elles conservent leur actualité.

Le "repoudrage" des constitutions est un privilège des gouvernements dits démocratiques…

Il faut donc comprendre que le "repoudrage" des constitutions est un privilège des gouvernements dits démocratiques. Les cancres de la démocratie sont quant à eux condamnés au respect de constitutions vieillottes et poussiéreuses. Précaution assurément indispensable, à défaut d’être dissuasive, pour les potentats qui rêvent d’éternité au pouvoir. Mais précaution potentiellement contre-productive aussi : si la limitation des mandats présidentiels, puisque c’est à cette seule aune (malheureusement) qu’est abordée la question constitutionnelle en Afrique, est une contrainte qui se justifie dans des sociétés matures, elle peut entraver l’oeuvre transformatrice de leaders d’exception en Afrique. Car rénover des sociétés aussi dysfonctionnelles que les sociétés d’Afrique subsaharienne (en particulier d’Afrique francophone) est nécessairement un travail de longue haleine. Par conséquent, la Constitution qui siérait le mieux aux intérêts des pays africains est celle qui réussirait le tour de force de lier les mains de potentiels autocrates tout en offrant à d’éventuels leaders éclairés le temps nécessaire à la transformation de leur pays.

Mais au-delà, la sacralisation des constitutions africaines (notamment celles des pays d’Afrique francophone) ne répond pas à la question, fondamentale, de leur légitimité et de leur caractère démocratique. La Constitution camerounaise, par exemple, reste, malgré les légères mais regrettables révisions qu’elle a subies, une Constitution d’inspiration coloniale, conçue à une période de forte instabilité dans le pays pour légitimer un président illégitime et fidèle gardien des intérêts de la puissance coloniale, et permettre la poursuite du système colonial par d’autres moyens. Fort logiquement, ce machin antidémocratique (les résultats du référendum de ratification de la Constitution ont été manipulés pour faire gagner le "oui") accorde des pouvoirs exorbitants à un Président érigé en véritable monarque républicain (voir par exemple Titre II, Chap. I, Art. 9 de la Constitution camerounaise).

En l’état actuel, la Constitution camerounaise présente un risque majeur pour la stabilité future d’un pays en proie à des difficultés considérables. Son article 9 (Titre II, Chap. I) ouvre en effet la voie, ni plus ni moins, à une dictature "constitutionnelle". Or dans un pays dépourvu de culture démocratique, ce risque est malheureusement réel.

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Par conséquent, dans le cas du Cameroun (mais aussi de plusieurs pays d’Afrique francophone dont les constitutions pèchent également par un excès de générosité à l’endroit de la fonction présidentielle), le toilettage de la Constitution n’est pas une option mais bien un impératif civique. Non, un simple toilettage serait en réalité insuffisant. La société civile camerounaise, notamment la jeunesse, devrait s’emparer du sujet et s’atteler à la réécriture pure et simple de la Constitution du Cameroun. Cette nouvelle Constitution émanerait du peuple camerounais, mettrait définitivement le pays à l’abri du spectre de la dictature, et ouvrirait la voie à une véritable "République", la deuxième du nom. Voilà qui pourrait constituer le projet d’une génération…
 

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