Fadhel Abdelkefi, financier sans frontières
À la tête d’Integra Partners, leader de la Bourse et du capital-investissement, le Tunisien Fadhel Abdelkefi marche dans les pas de son père et tient le cap de l’intégration maghrébine.
Grand amateur d’art et de football, Fadhel Abdelkefi n’est pas toujours plongé dans la finance, son cœur de métier et… métier de cœur. Le quadragénaire associe systématiquement aux projets du groupe qu’il dirige, Integra Partners, une réflexion plus vaste qui tient compte du volet humain. « Integra vient des mots « intégrité » et « intégration », deux valeurs essentielles dans les métiers de la finance », explique-il. Une culture et une vision héritées en partie de son père, Ahmed Abdelkefi, fondateur en 1991 de Tunisie Valeurs, le principal intermédiaire en Bourse tunisien (son portefeuille est de plus de 250 millions d’euros).
L’Afrique est l’avenir, mais la Tunisie a raté le coche.
Diplômé de la faculté des sciences économiques de Paris-I, Fadhel Abdelkefi a, depuis 1994, grimpé tous les échelons de Tunisie Valeurs, dont il a pris les rênes en 2005. « Nous sommes une boutique de finance qui a démarré en Tunisie, qui est devenue maghrébine et qui prétend devenir panafricaine. Nous avons pu maintenir la concurrence en étant innovants. Premiers à créer des Sicav [sociétés d’investissement à capital variable, NDLR] en Tunisie, premiers à lancer une offre publique de vente, un emprunt obligataire privé et un emprunt obligataire subordonné, nous avons fait du conseil pour l’État, des introductions en Bourse… Nous avons mis sur pied des fonds garantis, des fonds assortis d’assurance, des fonds islamiques… Nous avons démarré le capital-risque et, surtout, appuyé la recherche fondamentale en faisant des études sur les sociétés cotées », détaille ce spécialiste des placements, de la gestion de portefeuilles et du développement de produits d’épargne destinés aux entreprises et aux particuliers (Tunisie Sicav, par exemple).
« Nous avons fêté nos 20 ans en 2011, poursuit-il. C’est un virage important dans l’histoire de la société. Aujourd’hui, nous sommes un groupe, Integra Partners, articulé autour de Tunisie Valeurs et de Tuninvest, et né d’une idée forte en laquelle nous croyons : l’intégration maghrébine. » En couvrant l’intermédiation en Bourse, la gestion de fonds, l’ingénierie financière et le capital-investissement, le groupe a en effet depuis longtemps mis le cap sur le Maghreb, mais aussi sur l’Afrique entière.
En matière boursière, Integra s’est installé au Maroc et en Algérie. Au sud du Sahara, pour l’instant, le groupe a noué des liens forts avec plusieurs intermédiaires boursiers et gestionnaires d’actifs, de la Société ouest-africaine de gestion d’actifs (Soaga, au Bénin) à CGF Bourse (Sénégal), en passant par Ecobank Development Corporation (Côte d’Ivoire) et la Société burkinabè d’intermédiation financière (SBIF). Dans le domaine du capital-risque, un secteur dans lequel Tuninvest et sa petite soeur Africinvest disposent d’une solide expérience (les deux sociétés ont investi dans une centaine d’entreprises et se sont retirées de la moitié d’entre elles), le groupe est allé encore plus loin et dispose désormais de bureaux jusqu’à Nairobi.
« Nous devons notre réussite dans le capital-risque à une idée simple : il s’agissait de bâtir un champion national, puis régional. Cela revient à aider une affaire qui marche en Tunisie à s’installer au Maroc ou en Algérie, ou une affaire ivoirienne qui fonctionne à aller au Mali ou au Bénin. Chaque fois que nous avons de nouveaux fonds, les partenaires qui nous ont suivis une première fois se réengagent sur les opérations suivantes », assure Fadhel Abdelkefi, qui traite presque au quotidien avec la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement (BEI), les agences de développement étrangères et des groupes privés du Golfe. Autant d’investisseurs dans les fonds d’Integra.
Quid des PME africaines ?
Leur potentiel de croissance est très important, mais elles ont besoin de fonds propres et de l’apport de partenaires stratégiques, pendant cinq ou sept ans, pour mieux les structurer et leur permettre l’accès à des réseaux. Mais l’argent ne suffit pas. Il faut aussi apporter la connaissance et les compétences, mettre la main à la pâte. C’est ce que fait Tuninvest en dévelppant la proximité via l’ouvertre de bureaux en Afrique. Et Tunisie Valeurs est dans la même logique.
Lucide
D’abord centré sur la Tunisie, le groupe s’est ensuite investi au Maghreb, avant de se développer dès 2001 en Afrique subsaharienne. Un premier fonds, Africinvest I, a levé 34 millions d’euros ; le second, Africinvest II, 108 millions d’euros, destinés principalement aux PME. Fadhel Abdelkefi demeure toutefois lucide : « L’Afrique est l’avenir, mais la Tunisie a raté le coche alors qu’elle a été le premier investisseur en Afrique subsaharienne. Le Maroc a été plus offensif, il suffit de voir ce qu’ont accompli Attijariwafa Bank, BMCE Bank, Royal Air Maroc ou Maroc Télécom. Ils ont trouvé la bonne démarche intellectuelle et stratégique. La Turquie, également, est dans cette dynamique, d’autant qu’elle est devenue une puissance mondiale. » Admirateur du modèle turc, Fadhel Abdelkefi estime que la Tunisie, malgré son retard sur le front africain, a le potentiel pour être une plateforme pour la reconstruction de la Libye.
Depuis 2011, Fadhel Abdelkefi est président non exécutif de la Bourse des valeurs mobilières de Tunis (BVMT). « Véritable courroie de transmission entre l’investissement et l’épargne, les Bourses sont des mines d’or insuffisamment exploitées, explique-t-il. Mais les places africaines sont souvent bloquées par un arsenal juridique pesant. En Tunisie, la Bourse ne contribue qu’à hauteur de 5 % au financement de l’économie, quand au Maroc et en Égypte, l’outil boursier participe à la relance économique. Mais pour qu’une Bourse soit pertinente, elle doit aussi détenir des titres de secteurs économiques stratégiques. Or à la BVMT ne figurent ni tourisme, ni textile, ni télécoms, ni agroalimentaire. En étant positif, on ne peut que mieux faire, mais il faudrait rétablir une bonne perception de la Bourse, jugée comme un club de riches. Les Bourses ne sont pas des sociétés privées, mais un patrimoine national. Les Marocains et les Égyptiens, eux, l’ont bien compris. » Selon lui, un partenariat public-privé fondé sur l’appel à l’épargne nationale pourrait permettre de réelles levées de fonds et de diminuer le poids du chômage en Tunisie. Une recette qui, bien entendu, vaut aussi pour l’Afrique.
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