Sofia Djama : « La prise en otage du corps de la femme est révélatrice du malaise algérien »

Le 9 mai dernier, une étudiante s’est vu refuser l’accès à l’université d’Alger. La raison ? Une jupe jugée trop courte. La réalisatrice Sofia Djama, créatrice d’une page Facebook de soutien à la jeune fille, revient sur une polémique qui a déchaîné les réseaux sociaux.

Publié le 4 juin 2015 Lecture : 3 minutes.

En créant la page Facebook "Ma dignité n’est pas dans la longueur de ma jupe (piratée depuis par des islamistes)", Sofia Djama souhaitait exprimer son ras-le-bol. Un ras-le-bol suscité, dit-elle, par la volonté de nombreux hommes d’exercer un contrôle sur les femmes et leurs corps.

"Les islamistes expliquent aux femmes comment elles doivent s’habiller, à une femme voilée comment elle doit porter son voile… Leur obsession, c’est mon vagin, c’est mon corps", lâche-t-elle, provocatrice. En quelques jours, sa page Facebook a reçu 15 000 "likes" et des centaines de photo de jambes y ont été publiées en signe de solidarité avec l’étudiante d’Alger. En signe de protestation, aussi, contre une pression sociale de plus en plus forte et le harcèlement de rue dont sont victimes les Algériennes, qu’elles soient voilées ou non.

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Piratage et contre-campagne de "pureté"

Mais alors que la page commençait à fédérer une grande communauté et à faire parler d’elle, des hackers la piratent le 22 mai et bannissent chacun de ses membres. En photo de couverture, ils placent soit la bannière noire du tawhid, dont Daesh a fait son étendard, soit le slogan des Anonymous. Et s’amusent à placer, en photo de profil, un montage représentant Sofia Djama voilée. Quelques jours plus tard, des conservateurs lancent de leur côté une contre-campagne de "pureté" et créent la page "Sois un homme et empêche ta femme de porter des tenues osées". Les photos d’un père posant avec ses fillettes voilées circulent largement sur le web. Certains des membres du groupe vont jusqu’à menacer les femmes qui oseraient dévoiler leurs jambes cet été de les vitrioler. 

"Je ne m’attendais pas à une telle violence dans les réactions" nous confie Sofia Djama. "Ils font porter le voile à des petites filles, c’est vicieux", juge-t-elle. "Et me voir sur la photo de profil avec un voile ça a été hyper dur pout moi". De fait, Sofia Djama est agnostique. "C’est une conviction personnelle", qu’elle ne tient pas à justifer plus que ça.


Sofia Djama : "La prise en otage du corps de la femme est révélatrice du malaise algérien" by Jeune Afrique

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En plein cœur de la polémique, un article du Gorafi algérien, El Manchar, ironise en affirmant que l’État algérien étudierait l’impact d’une éventuelle interdiction de la mini-jupe. En réaction, un nouveau groupe se crée, "la mobilisation pour la mini-jupe", avec un hashtag sur Twitter (#Maminijupefemmesolidaire) et un appel à participer le 6 juin à la "journée mondiale de la mini-jupe", lancée par des militants tunisiens. Mais Sofia Djama déplore que le débat ait dérivé vers le thème "religion contre anti-religion".

"Mon combat n’est absolument pas de défendre la mini-jupe", rappelle-t-elle, ajoutant qu’elle a reçu des photos de femmes voilées qui laissaient voir ce qu’elles voulaient de leurs jambes, bref des photos de musulmanes qui confient ne pas se reconnaître dans l’islam rigoriste prôné par certains.

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L’échec du vivre ensemble

La jupe est jugée trop longue en France, trop courte en Algérie… Ces polémiques sont-elles utiles ? Pour la réalisatrice, elles sont surtout révélatrices dans les deux pays d’un profond malaise, d’un échec du "vivre ensemble".

"La bigoterie s’est installée en Algérie car on l’a laissé faire", constate-t-elle. Sofia Djama a d’ailleurs bien conscience que ses revendications ne sont pas partagées par la majorité des Algériennes. "Je sais qu’elles sont majoritairement conservatrices, et qu’on me fait passer pour une traînée", reconnait-t-elle. Mais elle insiste : "Je veux faire comprendre qu’une partie de l’Algérie, aussi minoritaire qu’elle soit, aspire à autre chose qu’un état islamisé".

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