« La présidentielle ivoirienne doit permettre d’exorciser la crise de 2010-2011 »

À l’approche de l’élection présidentielle ivoirienne, prévue en octobre, la représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU, Aïchatou Mindaoudou, répond aux questions de Jeune Afrique.

Sia Kambou/AFP © Aïchatou Mindaoudou, la chef de l’ONUCI et le Président ivoirien, Alassane Ouattara

Sia Kambou/AFP © Aïchatou Mindaoudou, la chef de l’ONUCI et le Président ivoirien, Alassane Ouattara

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Publié le 10 juin 2015 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : L’élection présidentielle aura lieu en le 25 octobre prochain. Comment abordez-vous cette échéance ?

Aïchatou Mindaoudou : Elles constituent un tournant pour la Côte d’Ivoire, un tournant qui peut démontrer, si elles se passent bien, que le pays est revenu à la normale. C’est pour ça qu’il est primordial qu’elles se tiennent dans le délai prévu, mais aussi qu’elles soient inclusives, démocratiques et acceptées par tous. Il s’agit pour les Ivoiriens d’exorciser la crise de 2010-2011. Lors de mes tournées à l’intérieur du pays, j’ai pu constater que les populations veulent tourner la page des dix années de crise. Elles ne veulent plus revivre ce qu’elles ont vécu. Elles aspirent à la paix et au développement. C’est ce que les gens me disent chaque jour. Pour ne pas revenir en arrière, il faut donc que les hommes politiques s’engagent à jouer le jeu de la démocratie et de la loi.

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Qu’en est-il de la situation sécuritaire ?

Elle s’est beaucoup améliorée depuis 2010. La situation est calme, mais reste tout de même imprévisible. Les attaques qui ont eu lieu dans l’Ouest, notamment dans le triangle Grabo, Fete, Olodio, ont été réduites de manière drastique et ne sont pas en mesure de porter préjudice à l’intégrité territoriale de la Côte d’Ivoire. De plus, elles sont beaucoup plus liées aux questions foncières qu’à un aspect purement sécuritaire.

Justement, la question foncière a-t-elle été réglée ?

Non. Les conflits liés à la terre persistent, mais je pense que la loi de 1998 modifiée en 2014 pose les conditions pour la régler. Le problème est qu’elle n’a pas été suffisamment vulgarisée pour que les populations sachent comment agir lorsqu’elles sont confrontées à des problèmes de ce genre.

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Le processus de DDR (Désarmement, démobilisation et réintégration) touche à sa fin. A-t-il rempli sa mission ?

Oui. A l’heure actuelle, près de 80% des combattants ont été démobilisés. La Côte d’Ivoire est l’un des pays où le processus du DDR a été le plus efficace. Ce que l’on a constaté ici est inédit. Certes, il est possible qu’à la fin du mois de juin, un reliquat de combattants manque à l’appel, mais il pourra être absorbé en quelques mois.

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Selon les experts de l’ONU, 3 à 5 000 ex-combattants refusent toujours de participer au processus et ont conservé leurs armes. Représentent-ils une menace ?

Ce chiffre me surprend. Je n’en ai jamais été informée

Les efforts du gouvernement pour le dialogue politique sont-ils suffisants ?

Il y a environ deux ans, le dialogue politique s’est retrouvé bloqué. Le gouvernement a été contraint de faire beaucoup d’efforts, de concessions pour qu’il puisse reprendre. Les partis politiques de l’opposition également. Le dialogue a permis de régler des questions de fond. Le FPI, avant ses dissensions actuelles, avait posé un certain nombre de conditions relatives aux prisonniers, aux résidences occupées, aux comptes gelés, à la réintégration des agents de l’État. Beaucoup de leurs demandes ont été acceptées. Le dialogue est un processus et des efforts soutenus doivent être faits de part et d’autre pour le faire avancer.

Mais des membres du FPI, proches d’Abou Dramane Sangaré, sont détenus depuis plus d’un mois…

Il faut replacer ces événements dans leur contexte. Je peux le faire car je suis personnellement intervenue auprès du gouvernement et de cette frange du FPI. Tout est parti de la décision de Pascal Affi N’Guessan de porter plainte. La justice a tranché en sa faveur. Le gouvernement a considéré qu’il lui revenait de l’appliquer. Par contre, cette frange du FPI ne veut respecter, pour certaines raisons, ni la décision de justice ni les dispositions légales et règlementaires sur les manifestations. C’est ça le principal problème. La démocratie, c’est un ensemble de droits et de devoirs comme par exemple l’obligation pour chaque citoyen de respecter le cadre légal existant même si l’on n’en est pas satisfait. C’est ça qui garantit à chacun la jouissance des droits qui lui sont reconnus. Le respect du cadre légal est aussi valable pour le gouvernement surtout lorsqu’il s’agit des arrestations.

Quelle est votre réaction à la création de la Coalition pour le changement (CNC) ?

La CNC s’inscrit dans un cadre légal. C’est un signe de vitalité de la démocratie ivoirienne. Les Nations unies continueront toujours à appeler à un processus démocratique inclusif et pour une diversité d’expression.

Comme il y a eu un procès des pro-Gbagbo suspectés de crimes, doit-il y avoir un procès des partisans du président Alassane Ouattara qui seraient dans le même cas ?

Nous n’avons eu de cesse d’appeler le gouvernement à une justice équitable, à ce que les enquêtes soient accélérées mais aussi qu’elles soient concluantes. Selon mes confrères de la division des droits de l’homme, les autorités ont donné des instructions fermes aux juges pour qu’ils accélèrent toutes les enquêtes, y compris lorsqu’elles concernent des gens considérés comme proches du pouvoir. Le 7 mai dernier, 9 FRCI, dont des ex-comzones qui occupent aujourd’hui des positions importantes, ont été convoqués devant le juge d’instruction. Le même juge a entendu des dozos. Je constate qu’il y a une volonté politique de faire en sorte que ceux qui ont commis des crimes graves dans les deux camps répondent de leurs actes. Cette volonté politique doit se matérialiser. C’est pour l’ONU une priorité. Il faut la vérité pour les victimes. Nous appelons d’ailleurs à la publication du rapport de la CDVR rendu en décembre 2014. Il faut aussi que le gouvernement adopte mette en place une loi pour protéger les témoins.

Le chef de l’État a récemment déclaré qu’il souhaitait que l’Onuci se retire progressivement de Côte d’Ivoire. Partagez-vous son avis ?

C’est un processus qui se fait en accord avec les autorités. Les discussions sont en cours pour établir le calendrier du retrait après les élections. La réduction des effectifs de l’Onuci a débuté depuis deux ans sur la base de la résolution des Nations unies. De l’avis des membres du Conseil de sécurité, la Côte d’Ivoire est en train de redevenir stable et la présence d’une mission de maintien de la paix ne sera peut être plus nécessaire après les élections, si elles se passent bien. L’année dernière, nous avons réduit nos troupes de 1 500 militaires, le personnel civil de 10%. Idem cette année. On va réduire graduellement les effectifs jusqu’aux élections d’octobre pour arriver à une force d’à peu près 5 300 militaires et 1 500 policiers. Nous sommes passés d’une posture statique à une posture plus dynamique. Nous sommes ainsi capables d’intervenir sur n’importe quelle partie du territoire ivoirien en cas de besoin pour protéger les civils.

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