Burkina Faso : émargez, fonctionnaires fantômes !
Le Burkina Faso traque ses fonctionnaires fictifs. Si le fléau des « agents fantômes » pèse sur les budgets africains, les fonctions publiques du continent n’en sont pas les seules victimes…
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 29 juillet 2015 Lecture : 3 minutes.
Les caisses de l’État burkinabè ne sont pas franchement pleines, en cette période de transition politique. En cause, des magots qui auraient quitté le pays en même temps que les dignitaires renversés fin octobre, et des investissements étrangers gelés par des acteurs économiques attentistes.
Pour les investissements, il faudra convaincre par des élections calmes et crédibles, prévues pour octobre prochain. Pour les biens détournés, on ne pourra espérer en récupérer une partie que lorsque la Haute cour de justice aura statué sur les anciens pontes que l’on vient de mettre en accusation. Pris à la gorge par la quadrature du budget national, le président Michel Kafando et son gouvernement ne peuvent que traquer les gaspillages…
À défaut de pouvoir augmenter les salaires des serviteurs de l’État, il fallait d’abord fermer le robinet qui abreuvait les fonctionnaires fictifs. Ces derniers mois, une opération de « billetage » a été initiée sur tout le territoire national. Bien que fastidieux, le principe est simple : au mois indiqué, au lieu de recevoir un virement bancaire, venez en personne toucher votre salaire à un guichet. Mauvaise nouvelle pour les fraudeurs qui comptaient financer leurs vacances avec la rémunération d’un parent décédé depuis des lustres.
Un coût annuel de plus de 2,7 milliards de F CFA
En début de semaine, le ministre délégué chargé du Budget annonçait que 99% des 135 563 agents avaient été contrôlés et payés. 222 fonctionnaires auraient des « alibis » pour ne pas s’être présentés physiquement, notamment des missions ou évacuations sanitaires à l’étranger. Au final, 1 213 individus sont dans une situation dite « irrégulière ou inconnue » et leurs salaires ont été suspendus… 1% des agents de la Fonction publique méritait-il ce branle-bas de combat ? Leur masse salariale et autres indemnités indues représentent tout de même, chaque année, plus de 2,7 milliards de Francs CFA. Des sommes indues qui devraient d’ailleurs être réclamées aux indélicats, après établissements d’ordres de recettes.
Si le Burkina Faso avait déjà identifié, en 2012, 6 250 cas de fonctionnaires « suspects », il n’est pas le seul pays concerné par cette gangrène qui fait ressembler les budgets de l’État à un tonneau des Danaïdes. La question constitue même un serpent de mer des politiques publiques africaines. Depuis 5 ans ont été débusqués environ 3 000 fonctionnaires ivoiriens fictifs, 4 909 agents congolais « virtuels », 8 499 fraudeurs tchadiens au budget de la Fonction publique et près de 5 000 agents guinéens fantômes. En 2010, l’État camerounais détectait pas moins de 15 000 agents fictifs qui sirotaient chaque mois 8 milliards de F CFA. Alors que les États se débattent dans des budgets structurellement déficitaires, une dette accablante et une dépendance à l’égard des structures de coopération occidentales, les fonctionnaires fantômes du continent semblent avoisiner la population de certains pays…
Les « tigres » et les « mouches »
Mais le phénomène n’existe pas qu’en Afrique subsaharienne, certaines estimations de ministères du Maghreb faisant état d’un salarié virtuel sur dix employés de la Fonction publique. Et le fléau sévit bien loin du continent. En Chine, depuis l’arrivée du président Xi Jinping, plus de 160 000 emplois fictifs ont été identifiés dans les rouages de l’État. La campagne d’assainissement de la fonction publique concernerait tout à la fois les « mouches » – les plus modestes fonctionnaires – que les « tigres », les hauts cadres du Parti communiste.
Quant à l’Europe, elle bruisse, ces derniers temps, de rumeurs sur la quantité réelle d’agents virtuels de l’État grec. Le greek-bashing actuel s’en donne à cœur joie. Des internautes affirment que les quatre buissons de l’hôpital Evangelismos d’Athènes occuperaient 45 jardiniers et que des pensions seraient versées à des agents décédés depuis… 1953. La rumeur se propage d’autant plus aisément que le président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Athènes estimait, il y a quelques mois, que « personne ne peut dire avec certitude le nombre réel de fonctionnaires », estimé, selon les sources, entre 12 et 24% de la population active…
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