Razia Khan : « Au Nigeria, le fardeau de l’ajustement a été porté par l’économie réelle »
Razia Khan, spécialiste du Nigeria et responsable de la recherche macroéconomique sur l’Afrique au sein de la banque Standard Chartered, revient pour Jeune Afrique sur les récentes performances de la première économie du continent et sur ses perspectives alors que le pays s’apprête (enfin) à avoir un gouvernement.
Quelle est votre analyse de la conjoncture économique nigériane ?
Au Nigeria, le fardeau de l’ajustement dû au recul des cours du pétrole a été porté par l’économie réelle et non par le biais du taux de change.
La croissance a ralenti, en raison de plusieurs facteurs : la faiblesse des prix du pétrole, mais aussi le recul de la production et les arriérés de paiement aux sous-traitants. Le ralentissement de l’activité à l’approche des élections et les sévères pénuries de carburant enregistrés en mai y ont également contribué.
Le PIB enregistré au deuxième trimestre (+2,35 % sur un an, contre +3,96 % au premier trimestre) signale des défis importants pour la croissance future.
Certes, nous avons décelé à travers le Standard Chartered-Premise Consumer Price Tracker [un indice de suivi du prix au consommateur, Ndlr] des signes d’une reprise du secteur agricole au troisième trimestre ; et le programme de soutien annoncé récemment en faveur des États fédérés devrait permettre la reprise du versement des salaires des employés du secteur public local. Mais, avec une croissance de +3,2 % au premier semestre et étant donné les pressions continues sur le prix du pétrole, il est peu probable que le rebond au second semestre soit suffisant pour compenser la contre-performance des six premiers mois.
Nous avons donc abaissé nos prévisions de croissance pour le Nigeria en 2015 à +2,75 %.
Quel regard portez-vous sur les premières décisions prises par l’administration intérimaire depuis les élections ?
Il est clair que la lenteur enregistrée dans la mise en place du gouvernement a déçu les investisseurs. Cela étant, certaines des réformes introduites depuis juin pour améliorer la transparence et la gouvernance ont été impressionnantes et devraient avoir un impact bénéfique durable sur l’économie nigériane.
Par exemple, la directive du président Buhari ordonnant aux agences publiques de déposer leurs revenus dans un compte dédié à la Banque centrale – The Consolidated Revenue Fund – est une réforme historique au Nigeria. Elle devrait accroître la transparence et la reddition de comptes.
La soustraction du système bancaire nigérian des dépôts en devises de ces institutions pourrait toutefois aggraver les problèmes de liquidité. Les banques nigérianes sont déjà à court de dollars étant donné le régime de change plus strict imposé par la Central Bank of Nigeria [CBN – la Banque centrale du Nigeria].
Justement, que pensez-vous du resserrement de l’accès à la liquidité imposé par la CBN afin, en principe, de stabiliser la monnaie ?
Ces mesures de restriction pourraient ne pas atteindre l’objectif visé par les décideurs et elles entraînent déjà un coût pour l’économie nigériane.
La décision de la CBN, par exemple, de placer 40 produits [riz, ciment, margarine, la volaille, etc.] sur la liste des articles ne pouvant pas bénéficier des facilités de change de la Banque centrale a fortement limité leur importation.
Ces restrictions ont attiré les critiques des investisseurs étrangers et de certains producteurs. Et leur efficacité dans la limitation de la demande de change reste incertaine.
Dans certains cas, les prix de plusieurs denrées ont été augmenté de façon opportuniste. Dans d’autres, notamment dans le cas du riz, les importations de contrebande ont augmenté, privant l’économie nigériane de recettes tarifaires.
Étant donné que le riz de contrebande est moins cher que le riz produit dans le pays, il y a peu d’incitation pour les producteurs locaux à produire plus…
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