Hommage à Tayeb Saddiki, le père du théâtre marocain
Il est difficile de présenter en quelques mots Tayeb Saddiki, décédé le 5 février. C’est une personnalité aux multiples talents, qui a profondément marqué son époque et ses contemporains. Dramaturge, poète, romancier, cinéaste, calligraphe, peintre… Il a emprunté différentes voies artistiques pour donner à voir et à entendre un univers et un imaginaire originaux qui ne laissent guère indifférent.
Même en voulant se limiter au seul parcours théâtral de Tayeb Saddiki, la tâche s’avère ardue car encore une fois, l’artiste, depuis les années 1950, a multiplié les expériences et endossé plusieurs costumes : comédien, metteur en scène, chef de troupe, directeur de théâtre, traducteur, adaptateur, auteur…
Néanmoins, si l’on veut mettre en avant quelques-unes des qualités qui distinguent l’œuvre et le travail de Tayeb Saddiki, nous choisirons un qualificatif : passeur.
Un passeur car le dramaturge marocain a été l’un des premiers à faire découvrir à ses concitoyens les chefs-d’œuvre du théâtre mondial ; d’abord en tant qu’adaptateur quand dès les années 1950, il met en scène plusieurs pièces étrangères puisées dans différents registres théâtraux allant du théâtre classique jusqu’au théâtre avant-gardiste : Qisat al Hasna d’après La Légende de Lady Godiva de Jean Carrole, Mahjouba d’après L’École des femmes de Molière, Fi Intidar Mabrouk d’après En attendant Godot de Samuel Beckett, Moumou Bourkhorsa d’après Amédée ou comment s’en débarrasser d’Eugène Ionesco.
Il était l’un des premiers à l’échelle arabe à proposer une nouvelle forme de théâtre
Il remplit son rôle de passeur aussi en tant qu’organisateur et directeur de théâtre. Durant les années pendant lesquelles il dirigea le théâtre municipal de Casablanca, il n’hésita pas à faire venir les troupes étrangères, arabes et occidentales pour se produire devant un public local habitué à un théâtre populaire qui n’a du théâtre que le nom, accomplissant ainsi une mission d’éducation artistique.
Toutefois, l’adaptation ne représente qu’une phase du projet artistique de Tayeb Saddiki qui sera encore une fois l’un des premiers, mais cette fois-ci à l’échelle arabe, à proposer une nouvelle forme théâtrale, qu’on peut qualifier « d’authentique », puisqu’elle puise sa matière et sa fable dans le patrimoine culturel et artistique arabe en général et marocain en particulier, ce qui lui a valu le surnom de « maître expérimentateur ». Parmi ses pièces qui font aujourd’hui parties des « classiques », citons Sidi Abbderahman al-Majdoub (1967), al-Harraz (1971), Maqâmât Badi al-Zaman al-Hamadani (1971)…
Jean-Baptiste Poquelin est un vieil ami que je côtoie depuis trente ans
Tayeb Saddiki fut aussi une école qui a formé des générations de comédiens, de techniciens, d’hommes et de femmes de théâtre et non des moindres. Enfin, Tayeb Saddiki est, d’après le nombre de pièces éditées (six), l’auteur dramatique marocain d’expression française le plus fécond. L’amour que le dramaturge marocain voue à la culture française a commencé dès les années 1950 quand il interpréta le rôle de Joha dans Amayel Jha, une adaptation des Fourberies de Scapin, de Molière dont il a toujours parlé tel un ami ; « Jean-Baptiste Poquelin est un vieil ami que je côtoie depuis trente ans ». Ce lien particulier avec la langue française sera célébré à maintes reprises par à travers encore une fois la langue de Molière à qui il dédie sa pièce Molière ou pour l’amour de l’humanité. La France fut aussi reconnaissante envers cet immense artiste en lui accordant plusieurs distinctions : Chevalier des Arts et des Lettres et Officier des Arts et des Lettres.
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