« Ni esclave, ni nègre » : coup d’envoi de la première campagne transmaghrébine contre le racisme
Des activistes et associations de quatre pays maghrébins unissent leurs forces pour dénoncer les discriminations raciales, en particulier celles envers les Subsahariens.
Sous le slogan « Ni Oussif Ni Azzi, Baraka et Yezzi » (en français, « Ni esclave, ni Azzi [« négro »], stop, ça suffit »), un collectif de militants a lancé le 21 mars la première campagne transmaghrébine contre le racisme. Cette initiative, qui se déroulera à la fois en Tunisie, au Maroc, en Algérie et en Mauritanie jusqu’au 20 juin 2016, vise à briser les tabous et à secouer les gouvernements. Principale revendication : l’adoption de lois incriminant toutes les formes de discrimination raciale. Le coordinateur de cette campagne, Younes Foudil, nous en explique le programme et les raisons.
Jeune Afrique: Pouvez-vous nous en dire plus sur les événements prévus jusqu’en juin ?
Younes Foudil: Des actions assez originales seront entreprises – via les réseaux sociaux ou auprès des écoles et universités, par exemple – mais on préfère ne pas en dire trop pour le moment. Il faut agir auprès des familles et changer le contenu du programme éducatif pour espérer changer les mentalités, notamment celles des plus jeunes. Des activités culturelles seront aussi organisées dans les quatre pays maghrébins visés. Nous envisageons de faire chaque mois un bilan de ces activités et de leur impact, afin de réajuster notre stratégie au besoin. L’objectif est de sensibiliser l’opinion publique et les médias, et de mettre les décideurs politiques devant leurs responsabilités. Nous sommes également en contact avec des personnalités publiques, des intellectuels et des leaders d’opinion pour donner plus de visibilité à la campagne.
Où en est la législation en matière de racisme dans les pays du Maghreb ?
La réalité est différente d’un pays à l’autre. Au Maroc, on est un peu en plus en avance concernant cette question et des partis politiques ont déjà présenté des propositions de lois positives. Je pense qu’on est en bonne voie et qu’une loi sera votée prochainement, en sachant que le gouvernement a lancé une campagne de régularisation des migrants (notamment subsahariens) et multiplie les discours en faveur d’une reconnaissance de leurs droits et de leur intégration. En Tunisie, l’Assemblée des représentants du peuple (APR) avait d’abord refusé d’adopter une telle loi, niant l’existence du racisme dans le pays et invoquant des problèmes plus importants [un projet de loi pénalisant la discrimination raciale vient d’être élaboré par des membres de la société civile et sera bientôt soumis à l’ARP, NDLR].
En Algérie, la campagne se concentre surtout sur les discriminations subies par la communauté amazighe, le racisme envers les Subsahariens étant encore trop peu dénoncé et reconnu. Le cas de la Mauritanie est quant à lui assez particulier, dans la mesure où l’esclavage, pourtant aboli de droit, continue d’y exister de facto. Ce pays a besoin d’un effort particulier de notre part, en partenariat avec la société civile locale. D’où l’importance de cette campagne transmaghrébine.
Pourquoi le sujet du racisme est-il toujours aussi tabou au Maghreb, selon vous ?
Pendant longtemps, nos sociétés maghrébines ont accusé (à tort ou à raison) les pays européens de racisme envers les immigrés maghrébins. On n’aurait jamais imaginé un jour qu’un tel débat puisse avoir lieu au sein de nos propres sociétés et toucher nos concitoyens ou des migrants venus chercher l’asile dans nos pays. La tendance générale est au déni, on se complaît encore dans l’image du Maghrébin chaleureux, accueillant et hospitalier.
Quels sont les insultes et actes discriminatoires les plus récurrents au Maghreb ?
En fait, le premier mot qu’un Subsaharien apprend ou entend en arrivant au Maroc est le terme « azzi » ; en Tunisie et en Algérie, c’est « oussif », des termes qui signifien esclave ou serviteur. Plusieurs cas de discriminations ont été recensés envers des migrants subsahariens, comme le refus des bailleurs de leur louer des appartements, celui des chauffeurs de taxi de les transporter, des insultes, voire mêmes des violences physiques. Dans le sud de la Tunisie, il existe encore des bus et des cimetières séparés, pour Blancs (citoyens tunisiens) et pour Noirs. Plus grave encore, sur certains extraits de naissance tunisiens figure encore la mention « atig » (affranchi) suivi du nom du « maître” qui a libéré l’ancêtre esclave. Et récemment, une enseignante a humilié une écolière devant toute sa classe en l’accusant de sentir mauvais parce qu’elle est noire. L’affaire a été dénoncée par les parents de la petite fille et l’association M’nemty (présidée par Saadia Mosbah) a rencontré le ministre de l’Éducation tunisien, qui avait promis de lancer une enquête. Aucune suite n’a pour l’instant été donnée.
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