Congo-Brazzaville : Yves Castanou, berger des télécoms

Au Congo, être chargé d’un ministère spirituel n’empêche pas de servir l’État. Et vice versa. À 40 ans, Yves Castanou dirige l’Agence de régulation du secteur. Portrait d’un pasteur qui jongle avec des milliards.

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Publié le 15 novembre 2011 Lecture : 3 minutes.

En ce mois de novembre, Yves Castanou, 40 ans, a bien failli jouer sa peau – ou quelque chose qui y ressemble – à l’Assemblée nationale congolaise. Réunis pour adapter (et amender) la loi de finances 2012, les députés devaient décider si l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques (ARPCE), qu’il dirige depuis sa création, en janvier 2010, allait gérer seule le produit des redevances de régulation perçues auprès des opérateurs du secteur ou si, comme l’exigeait le ministère des Finances au nom de l’unicité des caisses de l’État, ces dernières devaient préalablement être perçues par le Trésor avant de lui être partiellement rétrocédées. Le débat pouvait paraître technique, mais il a passionné l’opinion, car les sommes en jeu – près de 10 milliards de F CFA en 2011 (15,2 millions d’euros), 15 milliards prévus pour l’an prochain – sont loin d’être négligeables.

Ingénieur télécoms formé en France et au Canada, ancien cadre de Lucent Technologies à Denver (États-Unis), ex-entrepreneur dans le e-business, issu d’une grande famille de Pointe-Noire et neveu de la première dame, Antoinette Sassou Nguesso, Yves Castanou est du genre acharné. Arguant du fait que son agence bénéficie de par la loi de son autonomie financière et de sa personnalité juridique, il a bataillé ferme auprès des élus et frappé à la porte du président Sassou Nguesso jusqu’à ce qu’une médiation conduite par le ministre d’État Pierre Moussa aboutisse finalement, début novembre, au retrait du projet controversé. « J’ai été nommé par décret présidentiel et j’ai prêté serment devant la cour d’appel, il s’agissait donc d’une question de principe », confie-t-il dans son vaste bureau, face à la gare centrale de Brazzaville. « L’ARPCE reverse au Trésor le produit des redevances de régulation, mais c’est elle qui le fait directement, à l’instar de ce qui se pratique en Afrique anglophone, au Sénégal, au Burkina ou en Côte d’Ivoire. Sinon, l’arbitre que nous sommes n’a plus la capacité d’être neutre, et c’est la porte ouverte à la corruption du régulateur par les opérateurs privés. »

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Diaspora

En place pour un mandat de six ans, Castanou a puisé dans le vivier des cadres congolais de la diaspora pour étoffer son staff. Cent soixante personnes travaillent aujourd’hui à l’ARPCE, dont le nouveau siège à 6 milliards de F CFA devrait être achevé fin 2012. En vingt mois, l’agence a mené à bien une difficile campagne nationale d’identification des abonnés à la téléphonie mobile, mis en place la numérotation à neuf chiffres, recouvré avec succès les redevances (auprès des pétroliers Total et Eni notamment) et défini les normes sécuritaires obligatoires pour les sites de télécoms, non respectées pour 80 % des pylônes implantés au Congo. « Enfin, le pouvoir vient de faire un choix judicieux ! » titrait lors de sa nomination le journal Talassa, très proche de l’opposition. Si depuis Yves Castanou n’a pas déçu, et s’il vient de remporter avant même qu’elle n’éclate sa première « bataille » politique, ce n’est pas, assure-t-il, à ses « humbles talents » qu’il le doit, mais… à Dieu. Car c’est l’autre face, apparemment distincte de la première, mais dans le fond intimement mêlée, de ce personnage atypique : celle du pasteur évangélique, ordonné en mars 2004 en compagnie de son épouse d’origine nigérienne, Habi, « Miss Merveille » pour les intimes.

À l’américaine

Avec son frère jumeau Yvan, lui aussi pasteur, Castanou a fondé en France, il y a dix ans, Impact Centre chrétien (ICC), une église affiliée à la très officielle Fédération protestante de France et qui réunit chaque dimanche dans son auditorium de Boissy-Saint-Léger, en banlieue parisienne, près de 1 500 fidèles africains, antillais et européens. Yvan, diplômé de Sup de Co Reims, y officie en tant que pasteur principal, et Yves y prononce régulièrement des prêches. « Nous sommes tout sauf une secte de charlatans, et ni moi ni mon frère n’avons besoin du temple pour vivre », précise-t-il. Il n’empêche : gérée à l’américaine comme une entreprise religieuse, ICC est une affaire qui marche, avec des filiales au nord de Paris et à Bruxelles, aux Antilles françaises et au Congo, au point d’être devenue l’une des plus importantes de ce type en France. Yves Castanou, qui a suivi sa formation théologique en Grande-Bretagne et truffe volontiers sa conversation de phrases en anglais, est en définitive très symbolique de toute une génération de cadres africains de plus en plus immergés dans la mondialisation. Qu’elle soit économique – « mon but, dit-il, est de faire du Congo le hub de l’Afrique centrale dans le domaine des télécoms » – ou spirituelle. 

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