Maroc : Miloud Chaâbi, le milliardaire autodidacte, est décédé
Le « self made man » de l’économie marocaine est mort le 16 avril à l’âge de 86 ans. Retour sur l’histoire atypique d’un paysan devenu riche et d’un groupe industriel, Ynna Holding, qui s’apprête à vivre l’épreuve de la succession.
L’haj Miloud n’est plus. Le patriarche du groupe Ynna Holding s’est éteint, le 16 avril, suite à un arrêt cardiaque dans un centre hospitalier en Allemagne. Il avait 86 ans. Son corps a été inhumé le 17 avril au cimetière « Chouhada » à Rabat.
L’histoire de Miloud Chaâbi, c’est celle d’un « pater familias » qui a construit un empire industriel à partir de rien et dans le pur respect des traditions familiales. Classé par le magazine Forbes parmi les plus grosses fortunes du Maroc en 2015 avec 1,5 milliard de dollars, il incarne un modèle à part dans le capitalisme marocain.
Kénitra, sa bonne étoile
Né dans les années 30 près de la ville d’Essaouira dans une famille qui avait du mal à nourrir ses enfants, le petit Miloud aurait pu ne jamais sortir de son village natal s’il n’avait pas décidé un jour de prendre la fuite « parce qu’une brebis du troupeau dont il avait la garde a été mangé par un loup », comme il disait. Plutôt que d’affronter la colère de son père, le jeune berger analphabète vagabonde de douar (village) en douar, travaillant dans les champs et les souks pour survivre, avant de s’installer à Kénitra, la ville qui lui portera chance et fera éclore sa fortune. C’est dans cette ville, connue à l’époque pour être une des bases militaires américaines édifiées après le débarquement de 1945, que le jeune Miloud fait carrière dans la construction. Habile en négociation, économe et surtout travailleur, son business va rapidement prendre un envol spectaculaire.
Un paysan face aux fassis
Contrairement aux hommes d’affaires issus de l’aile « fassie » du capitalisme marocain, constituée de familles d’héritiers qui ont les faveurs du Makhzen, l’haj Miloud est un paysan autodidacte qui construit sa fortune de ses mains, à la seule sueur de son front. Son ascension se fait indépendamment des cercles du pouvoir – il est l’un des premiers à investir en Afrique subsaharienne – mais elle est aussi à l’origine de son exclusion du sérail, une exclusion qui nourrira en lui un sentiment d’infériorité par rapport « aux privilégiés » et le poussera à avoir des réactions colériques à l’égard des serviteurs de Hassan II, particulièrement son ancien vizir, Driss Basri, qu’il accusait de bloquer ses affaires et de l’empêcher de profiter autant que les autres industriels du Maroc de la manne de la marocanisation (un plan économique exécuté après l’indépendance visant à concéder les entreprises détenues par les Français à des Marocains).
Des attaques bien calculées
Quand ils racontent l’histoire de leur père, les enfants de l’haj Miloud aiment à rappeler les misères que ce dernier a subi sous Hassan II et qu’il était l’un des rares entrepreneurs marocains à critiquer ouvertement Driss Basri. Certes, l’homme avait un franc parler qui dérangeait – sa maison de Kénitra était le point de rassemblement de nombreux opposants de Hassan II -, mais il faut garder à l’esprit qu’il n’a jamais dépassé la ligne rouge et qu’il a toujours su faire la part des choses pour préserver ses affaires.
Le microcosme économique marocain savait très bien que Miloud Chaâbi n’attaquait que de manière très calculée. Comme il l’avait fait en 1997 quand il a traîné l’ancien ministre des Privatisations, Abderrahmane Saidi, en justice, l’accusant d’avoir cédé l’hôtel Hyatt Regency à un concurrent moins disant que lui. Ou alors en 2008, lorsqu’il a accusé son concurrent Anas Sefrioui, patron du groupe immobilier Addoha, à l’époque à l’apogée de sa gloire, d’avoir bénéficié de faveurs foncières de l’État, faisant passer le message que son propre groupe – Chaâbi Lil Iskane – était désavantagé.
Un transhumant politique
Au niveau de ses activités politiques, Miloud Chaâbi était un oiseau migrateur, plus attaché aux hommes qu’aux étiquettes partisanes. Son premier engagement se fera au début des années 80 sous l’étiquette de l’Union constitutionnelle de son ami Maâti Bouabid. Il s’encartera par la suite dans le parti de l’Istiqlal, rendant la politesse à son ami de longue date M’hamed Boucetta. Quelques années après, il changera de cap pour aller chez les anciens communistes du Parti du progrès et du socialisme (PPS), à la mémoire de son ancien ami Ali Yata. Et il y a quelques années, il s’était même rapproché des islamistes du PJD…
Une carrière politique qui peut paraître inconstante, voire chaotique, mais dans laquelle on peut déceler un patriotisme à l’ancienne mâtiné d’un profond attachement aux traditions marocaines et religieuses. Les hôtels (Ryad Mogador) et la chaîne de supermarchés du groupe, Aswak Assalam, font partie des rares établissements au Maroc qui ne vendent pas d’alcool. De même, on ne peut pas compter les actions de mécénat de Miloud Chaâbi au profit des plus démunis, souvent à titre anonyme, ou ses aides à la presse marocaine, à titre philantropique mais aussi pour se ménager des canaux d’influence.
Un groupe familial à l’heure de la succession
Son groupe Ynna Holding (Ynna voulant dire ma mère), qui brasse annuellement plus de 10 milliards de dirhams de chiffre d’affaires, possède une quinzaine de filiales présentes dans les BTP, la grande distribution, l’hôtellerie, la pétrochimie… Mais comme tous les industriels marocains de la vieille génération, il a été frappé de plein fouet par la libéralisation de l’économie. Depuis quelques années, la SNEP, une filiale du groupe qui produit les matières plastiques, bat de l’aile, son monopole sur la vente de la résine de PVC ayant été cassé par l’ouverture du marché à l’importation. Et l’année dernière, le groupe Ynna a été au centre d’un important litige commercial avec le groupe français Fives FCB à propos d’un projet de cimenterie qui n’a pas vu le jour. Ynna Holding est désormais sommé de payer 19,5 millions d’euros.
Avant de décéder, Miloud Chaâbi a transféré son patrimoine à ses enfants dans l’objectif d’assurer sa succession sans problèmes. « Mais peut-on succéder à l’haj Miloud ? « , se demande un patron casablancais. Omar, Faouzi et Asma, les enfants de Miloud, sont maintenant à la tête d’un empire sur lequel plane toujours l’ombre du père.
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