Genève – Prix Kourouma 2016 : Mbarek Ould Beyrouk, griot de sable et de plume
Le prix Kourouma a été attribué vendredi, dans le cadre du Salon du livre de Genève, au Mauritanien M’Barek Ould Beyrouk pour son dernier roman « Le tambour des larmes ».
L’ouvrage compte l’histoire de la belle Rayhana, séduite et abandonnée, à laquelle son implacable mère vole l’enfant née de ces amours scandaleuses. Pour se venger de la morale impitoyable de sa tribu nomade, elle dérobe le tambour sacré et fuit se cacher en ville, là où la liberté est grande mais tellement froide. Un livre prenant, où tout est déchirement.
Né en 1957 à Atar, l’un des chefs-lieux du Sahara mauritanien, Beyrouk a été nourri de littérature – notamment de Victor Hugo – par son père instituteur. Son détour par l’étude du droit ne l’a pas empêché de créer le premier journal indépendant en 1988, « Mauritanie demain », où il a publié éditoriaux et nouvelles.
Il est surtout un homme de plume. Tour à tour, membre de la Haute autorité de la presse et de l’audiovisuel, président de la Télédiffusion de Mauritanie, secrétaire général de ministère et aujourd’hui conseiller culturel du président, il en est à son quatrième ouvrage, Le tambour succédant à « Et le ciel a oublié de pleuvoir » (2006), Nouvelles du désert (2009) et Le griot de l’émir (2013). « Beyrouk est un conteur, souligne Romuald Fonkoua, directeur du Centre international d’études francophones de l’Université de Paris-Sorbonne. Le tambour, qui est son roman le plus abouti pose comme ses autres ouvrages le problème du rapport complexe entre la tradition et la modernité. Il est le premier en Mauritanie à l’avoir fait ».
Langue métaphorique
Mais la plume de Beyrouk est aussi celle d’un poète. Il cisèle les mots et les phrases pour exprimer la sensualité du désert, des étoiles et du campement. Son ami, Idoumou Mohamed Lemine Abass, professeur de littérature à l’Université de Nouakchott, lui aussi romancier, met en scène comme lui la société mauritanienne écartelée entre la démocratie et un système de castes, entre la trépidation de la capitale le jour et la traite des chamelles le soir. « Pour décrire cette complexité dont nous ne savons pas où elle nous mènera, déclare-t-il, nous utilisons lui et moi un langage métaphorique, mais Beyrouk possède une langue plus poétique que la mienne qui m’enchante ».
Beyrouk tente une délicate synthèse entre le cœur qui incline vers la fraternité nomade et la raison qui rêve d’égalité et de liberté
Intagrist El Ansari, journaliste-romancier et autre chantre du Sahara, mais né à Tombouctou, souligne que Beyrouk ne verse pas dans le mysticisme du désert minéral à l’infini comme d’autres et qu’il excelle à rendre la vie nomade et ses saveurs : « Avec lui, nous sommes plongés au cœur de la vie du campement, de ses bruits, de ses émotions, explique-t-il. Il a beau se vouloir révolutionnaire en campant des personnages de femmes révoltées contre les traditions ‘arriérées’ des nomades, il n’en est pas moins le défenseur de ces mêmes traditions. Il joue avec ce paradoxe en plaçant ses héros à cheval entre deux mondes ». Beyrouk tente même une délicate synthèse entre le cœur qui incline vers la fraternité nomade et la raison qui rêve d’égalité et de liberté, avec pour catalyseur l’islam malékite, tolérant et ouvert. Ne lui parlez pas de salafisme !
En fait, c’est un griot, ce médiateur entre le passé et le présent. Cela suppose d’abord d’écouter. « Il est l’un de mes auteurs qui est le plus dans l’échange, raconte Elisabeth Daldoul, directrice des Éditions Elyzad à Tunis. Certes, il ne modifie pas forcément son texte, mais il entend les remarques, car il souhaite que son texte soit le plus fluide possible. Il est agréable de travailler avec lui, car il a un rapport au temps qui vient tout droit du désert : il n’est jamais en tension ».
Un griot est aussi un miroir où se mire une société inquiète de son futur. Beyrouk semble décidé à poursuivre dans cette voie. Son prochain ouvrage sera l’histoire d’un garçon perdu des quartiers populaires de la capitale où règne une violence urbaine qui désespère tous les Mauritaniens, amateurs de la douceur des dattes et de la musique des vers. Y aura-t-il tout de même rédemption ?
Les Tambour des larmes, éd. Elyzad, 246 pages, 18,90 euros, 15,90 DT.
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