Bené Boévi Lawson : « La concentration des assureurs va assainir le marché »
Patron de la branche assurance de NSIA, le numéro deux du groupe ivoirien évalue l’impact de la réforme du secteur, prévue pour le 1er avril, et détaille la stratégie 2010 du bancassureur face à une concurrence accrue.
Bené Boévi Lawson : Chacune de nos dix-neuf filiales a un capital d’au moins 1 milliard depuis au moins six mois, nous ne sommes donc pas inquiets. Mais d’autres sociétés sont déjà dans une situation financière en décalage avec les normes actuelles de la Cima. Nous allons assurément assister à la disparition de certaines d’entre elles et à des fusions-acquisitions. Certaines enseignes n’hésitent déjà plus à ouvrir leur capital. Il ne restera plus que les groupes et quelques grosses sociétés.
Le secteur avait-il besoin d’être assaini ?
Certainement. Car ces dernières années, on a eu l’impression que des agréments ont été donnés un peu vite à certaines compagnies qui ne semblaient pas remplir toutes les garanties et sans tenir compte de la capacité d’absorption du marché. Nous devrions aller plus loin, et le niveau devrait passer à 2 milliards de F CFA ou plus, car dans les pays voisins de la zone Cima le capital est déjà à ce niveau.
Cette directive peut-elle représenter pour vous une opportunité d’expansion par le rachat d’autres sociétés ?
Pourquoi pas, si la compagnie correspond à nos exigences de gouvernance, et si l’environnement du pays est bon. Nous avons été approchés par deux sociétés, sans que nous ne donnions suite. C’est parfois plus facile de faire une création, car l’expansion ex nihilo permet de préserver l’esprit de l’entreprise, la convergence de vue et l’harmonisation des procédures.
Certains assureurs souhaitent ne pas avoir à fournir un capital minimum dans chaque pays de la zone Cima…
Effectivement, nous devrions aller dans le sens d’un marché et d’un agrément uniques. Il faut une société mère bien capitalisée ayant la possibilité de travailler sur un marché plus large. Car, au capital, il faut rapporter un marché. Demander un capital de 5 milliards de F CFA sur un marché de 10 milliards de prime est exagéré. En revanche, demander 10 milliards sur un marché potentiel de 500 milliards est plus acceptable.
Quels pourraient être les prochains marchés à conquérir pour NSIA ?
En quinze ans, nous nous sommes déployés sur onze pays à travers dix-neuf sociétés, et nous souhaitons continuer à maîtriser notre politique d’expansion. Cependant, certains États seront inévitables dans l’avenir, comme la RD Congo. Dès que son marché sera totalement libéralisé, nous frapperons à sa porte. Nous voulons aussi nous étendre dans les pays anglophones limitrophes de la Côte d’Ivoire, au Liberia et au Sierra Leone, afin de suivre nos clients.
Pour les offres, alors que notre activité était tournée pour l’essentiel vers le secteur des entreprises, nous allons adapter nos produits aux particuliers : multirisque habitation, produits vie, hospitalisation, santé… Ils sont déjà en test et seront largement déployés en 2010.
Enfin, sur le secteur bancaire, nous sommes rentrés sur ce marché en 2006 avec le rachat de BIAO Côte d’Ivoire à Fortis Banque. Nous poursuivons notre expansion avec l’ouverture en février d’une agence en Guinée-Conakry. Mais l’activité du pôle banque ne sera pas encore significative dans les résultats 2009 car nous avons consacré l’année à la mise en place d’un système informatique adapté. En 2010, nous espérons que les activités bancaires, essentiellement en Côte d’Ivoire, représenteront 20 à 25 % du chiffre d’affaires de ce pays.
Les multinationales occidentales ont tendance à quitter le continent. Y a-t-il encore de la place pour elles ?
C’est une loi économique simple : ils ont des critères (de production, de rentabilité, etc.) qui ne sont pas les mêmes que les nôtres. Dans plusieurs pays de la Cima, certaines de leurs filiales font un chiffre d’affaires équivalent à une seule de leur agence européenne, ils n’ont donc aucun intérêt à rester. Ils se trouvent face à une concurrence africaine qui, bon an mal an, fait son chemin en prenant des parts de marché importantes, en s’imposant parfois en ayant recours à la sous-tarification, une pratique contraire aux normes de ces groupes internationaux. À terme, je ne vois pas ces sociétés survivre dans ce contexte mal régulé de concurrence exacerbée.
Quelles sont les causes et les conséquences de la sous-tarification ? Et comment y mettre un terme ?
Il y a les courtiers – 70 % de la production de la zone Cima – qui tirent les prix à la baisse sans réelle justification. Mais il y a aussi le pouvoir d’achat très limité des populations, face à la cherté de nos produits, trop peu distribués. Il nous appartient de sensibiliser et, parfois, d’être plus agressifs commercialement vers la masse qui a les moyens de s’assurer. Ensuite, les États doivent comprendre que l’argent collecté par les assurances peut contribuer à l’économie d’un pays, et donc mettre en place des incitations fiscales ou législatives, comme l’assurance obligatoire. Avec l’augmentation des ventes, nous ferons des économies d’échelle et nos produits seront moins chers, sans tomber dans la sous-tarification et tout en préservant nos marges.
Y a-t-il d’autres freins au marché ?
La pratique dite du fronting [réassurance facultative, NDLR] en est un autre. En effet, certains clients internationaux n’ont pas une totale confiance envers les sociétés d’assurance africaines. Leurs courtiers s’adressent à une compagnie locale avec un contrat d’assurance déjà bouclé et lui proposent de « fronter » le risque contre une commission de 5 à 7 %. La prime est payée à un assureur étranger qui porte effectivement le risque. C’est illégal, dès lors que plus de 75 % du risque est exporté. En cas de problème, la société locale qui apparaît sur les contrats peut avoir des ennuis avec les autorités. Ainsi, nous avons perdu une affaire de 300 millions de F CFA en Guinée-Conakry avec un investisseur minier américain, car nous avons refusé cette pratique. En 2008, la zone Cima a affiché un chiffre d’affaires de 631 milliards de F CFA. On estime que 30 % échappent en réalité au marché africain.
Des partenariats se forment et des réseaux se créent, à l’instar de Globus, présent dans 28 pays. Ces concurrents locaux ne sont-ils pas une autre menace pour NSIA ?
Non. Nous nous connaissons tous, et nous nous respectons. Nous pensons que le réseau Globus, avec les autres assureurs, va apporter sa pierre à l’édifice de l’assurance africaine.
* Conférence interafricaine sur les marchés d’assurances. Pays membres : Bénin, Burkina, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo.
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