Procès pour génocide de deux Rwandais : le désistement d’une magistrate du Parquet de Paris fait polémique
Alors que vient de s’ouvrir, devant les assises de Paris, le procès pour génocide de deux anciens bourgmestres rwandais, le désistement de dernière minute d’une procureure fait polémique. Décryptage.
Pavé dans la mare ou pétard mouillé ? En renonçant in extremis à siéger sur le banc du ministère public aux côtés de l’avocat général Philippe Courroye, lors du procès de deux bourgmestres rwandais qui s’est ouvert le 10 mai, la vice-procureure du pôle génocide et crimes contre l’humanité du TGI de Paris, Aurélia Devos, alimente une controverse délicate à trancher.
Selon le quotidien Libération, qui a révélé l’affaire le 4 mai, cette jeune magistrate du Parquet de Paris, qui a suivi le dossier de Tito Barahira et Octavien Ngenzi depuis l’origine, aurait invoqué la clause de conscience pour se désister. Une annonce qui, une fois rendue publique, allait provoquer l’inquiétude des associations parties civiles, lesquelles s’en sont expliquées dans un communiqué commun : « Nous nous interrogeons sur les raisons d’une telle situation dont nous espérons qu’elle ne marque pas un changement d’orientation du Parquet, dont les réquisitions écrites ont grandement contribué au renvoi des accusés devant la Cour d’assises. Nous souhaitons que la bonne administration de la justice ne s’en trouve pas affectée et que toutes les conditions d’un procès équitable et exemplaire restent réunies dans l’exercice normal du rôle et des prérogatives de chacun de ses acteurs. »
« Une situation inédite »
Depuis, en l’absence d’explication officielle quant aux motivations d’Aurélia Devos, les supputations vont bon train. La parquetière, qui avait requis le renvoi aux assises des deux Rwandais, aurait-elle jeté l’éponge en raison d’une divergence avec Philippe Courroye sur le fond du dossier ? Une suspicion serait-elle née du fait que ce dernier a eu comme avocat, devant le Conseil supérieur de la magistrature, Jean-Yves Dupeux, qui a lui-même défendu des Rwandais soupçonnés de génocide ainsi que les enfants de l’ancien président Juvénal Habyarimana ? L’avocat a fermement contesté cette interprétation dans un droit de réponse adressé à Libération.
Ce qui est surprenant, c’est qu’une information de cette nature ait filtré
Au Palais de justice, on en est donc réduit aux conjectures. « C’est une situation inédite. En 30 années de barreau, je n’ai jamais vu deux parquetiers s’opposer ouvertement sur les orientations à donner à un dossier », témoigne une avocate pénaliste parisienne qui suppose que le désistement vient du fait qu’Aurélia Devos et Philippe Courroye « n’étaient probablement pas sur la même longueur d’ondes ». Son confrère Léon-Lef Forster se montre plus nuancé : « Il peut s’agir de simples divergences fonctionnelles à propos du mode de travail, de la division des tâches ou de la stratégie à adopter lors du procès. »
Tous deux s’accordent toutefois sur un point. « Ce qui est surprenant, c’est qu’une information de cette nature ait filtré et qu’il n’y ait pas eu de mise au point du Parquet général », s’étonne Me Forster. « C’est une situation inédite : habituellement, lorsque des désaccords surviennent entre magistrats du Parquet, le linge sale se lave en famille », confirme sa consœur.
« Clause de conscience »
« Le 14 avril, Aurélia Devos a informé la Procureure générale près la Cour d’appel, Catherine Champrenault, du fait qu’elle se désistait de sa mission pour des raisons qui lui sont propres. Nous considérons que c’est une polémique sans objet », a affirmé à Jeune Afrique la magistrate chargée de la communication au Parquet général de la Cour d’appel de Paris. Selon cette dernière, les termes « clause de conscience » seraient inappropriés en l’espèce.
Si l’ordonnance de 1958 relative au statut des magistrats ne fait nulle mention d’une clause de conscience dont ces derniers pourraient bénéficier (contrairement, par exemple, aux journalistes ou aux médecins), ce terme apparaît toutefois dans certaines décisions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature. Soumise, en tant que parquetière, à une obligation de loyauté vis-à-vis de sa hiérarchie, Aurélia Devos avait-elle des raisons de craindre une divergence avec Philippe Courroye susceptible d’affecter sa conscience ? Ou bien sa décision est-elle sans rapport avec le fond du dossier soumis à la cour d’assises, dont l’examen doit durer huit semaines ?
Inquiétudes
Au Parquet général, on rappelle que la présence de Philippe Courroye au procès Barahira-Ngenzi est conforme aux règles de l’organisation judiciaire, qui prévoit que ce sont les magistrats du Parquet général qui représentent le ministère public devant la Cour d’assises de Paris, et non ceux du Parquet de Paris. Dans le cas d’un dossier important et complexe comme celui des deux bourgmestres rwandais, il arrive que deux magistrats soient désignés conjointement pour former un binôme. En 2014, c’est ce qui avait conduit Aurélia Devos à siéger aux côtés d’un collègue du Parquet général lors du procès du Rwandais Pascal Simbikangwa.
« L’annonce de son désistement nous a inquiétés car nous la connaissons bien et qu’elle avait joué un rôle important dans le procès Simbikangwa », indique Alain Gauthier, le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), à l’origine de la procédure. Une crainte qui, selon la magistrate jointe par Jeune Afrique au Parquet général, n’a pas lieu d’être : « Il n’y aura pas de revirement dans les réquisitions. L’ADN du Parquet, c’est de soutenir l’accusation de manière rigoureuse et ferme. » Alain Gauthier d’admettre : « Au vu des deux premières journées d’audience, on doit reconnaître que Philippe Courroye joue bien son rôle d’avocat général ».
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