Afro-pessimisme et afro-optimisme, il faut sortir de l’utopie
Très souvent l’envers l’un de l’autre, l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme souffrent aussi de deux maux antonymes.
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Thierry Amougou
Economiste, Professeur à l’Université catholique de Louvain. Dernier ouvrage publié : Qu’est-ce que la raison développementaliste ? Academia, 2020
Publié le 2 juin 2016 Lecture : 3 minutes.
D’un côté, ce sont les atouts du moment et des cas de réussite qui sont exaltés et extrapolés sur tout le continent et son avenir en taisant leurs faiblesses et leurs temporalités très souvent de court terme.
De l’autre, ce sont ses faiblesses, ses carences, les échecs des projets et les effets pervers des politiques qui sont mis en exergue sans contrebalancer ce jugement avec le potentiel en réserve du continent ou encore sa jeunesse dans l’histoire de la construction des États et des nations. L’afro-pessimisme et l’afro-optimisme semblent donc des moments – au sens de conjonctures,– où l’Afrique est peinte, non comme elle se présente réellement, mais comme la voient certains acteurs politiques, économiques ou sociaux porteurs de la vulgate aux sources d’une opinion publique responsable de la dissémination d’un discours positif ou négatif sur le continent noir suivant des intérêts eux-mêmes très souvent inavoués.
Une réalité plus nuancée
Le regard porté sur l’Afrique semble ainsi passer par des cycles politico-économiques dont les deux points culminants sont l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme, au sens de crise de l’opinion sur l’Afrique et son avenir, alors que la réalité semble plus nuancée.
L’afro-optimisme a dominé les années 1960 avec l’accession à l’indépendance, gage d’espoirs multiples suivant l’esprit enthousiaste de la conférence afro-asiatique de Bandung de 1955. Un chassé-croisé entre l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme a dominé la période 1960-1980 où les dictatures politiques et les économies de rentes ont occupé le devant de la scène avec plus ou moins de réussite avant de s’effondrer dès 1980.
La période 1980-2000 a quant à elle été marquée par le retour en force de l’afro-pessimisme dans une Afrique sous programmes d’ajustements structurels et jugée perdue pour le développement. L’Afrique semblait vraiment très mal partie ainsi que l’avait dit l’Agronome René Dumont dans un ouvrage qui a fait date en 1962.
Le retour de l’afro-optimisme
Depuis l’an 2000, nous assistons au retour de l’afro-optimisme. « The continent of hope », le continent de l’espoir, est un titre choisi, il y a quelques temps, par le Financial Times pour parler de l’Afrique en termes très élogieux par rapport à son futur.
Les économistes ne sont pas en reste. Ils avancent l’hypothèse de découplage ou de déconnexion pour signifier que l’Afrique prend enfin son envol suite au fait que son taux de croissance en moyenne de 5% depuis l’an 2000, est le signe pertinent qu’elle se défait enfin de l’hypothèque que l’Occident a constitué pour son développement depuis l’État colonial. La preuve en est qu’elle est en pleine croissance quand l’Occident se débat dans les basses pressions des taux de croissance négatifs ou très faibles.
Des théories à interroger de façon critique
Sans discuter de cette hypothèse que nous avons déjà réfutée en d’autres lieux, notre objectif est ni d’houspiller les hérauts de l’afro-pessimisme et le misérabilisme paralysant et désespérant qu’ils véhiculent sur l’Afrique, ni de réfuter les effets psychologiques positifs que l’afro-optimisme peut avoir sur les Africains, sur l’image qu’ils se font d’eux-mêmes et sur les investisseurs pour lesquels le climat psychologique ambiant compte. Il est de sortir de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme au sens de faces contraires d’une même utopie non critique de l’Afrique. Le faire revient à avoir une réflexivité critique qui met en télescopage afro-optimisme et afro-pessimisme afin de sortir d’une Afrique hors sol via un atterrissage sur le réel et les faits du continent tel qu’il est effectivement. Cela revient à réfuter la fin de l’histoire et à reprendre son cours réel, chose qu’afro-optimisme et afro pessimisme oublient de prendre en compte.
Cela dit, puisque l’Afrique redevient « the continent of Hope » depuis l’an 2000, son taux de croissance en moyenne de 5% l’an, son émergence, son attractivité aux investissements directs internationaux, l’hypothèse de sa déconnexion du reste du monde, autant d’éléments constitutifs du nouveau corpus théorique de l’afro-optimisme, doivent être des concepts, des réalités et des théories à interroger de façon critique si on veut rencontrer l’Afrique réelle et avoir une chance de cheminer avec elle vers son avenir.
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