Affaire de Tibhirine : l’Algérie remet des prélèvements des moines à la France
Évolution significative dans l’enquête française sur la mort des moines de Tibhirine. Une juge française a pu ramener d’Algérie des prélèvements des têtes des moines français qui avaient été enterrés dans le cimetière du monastère de Tibhirine (Médéa), a appris l’AFP auprès d’une source judiciaire et de l’avocat de familles.
Pour la première fois depuis 2003, date de l’ouverture d’une information judiciaire en France, l’ancien juge français, Marc Trévidic, accompagné par des experts, des médecins légistes, un radiologue et un photographe avaient pu se rendre en octobre 2014 dans ce monastère où ont été enterrées les têtes des sept moines qui avaient été enlevés en mars 1996 avant d’être décapités deux mois plus tard.
« Confiscation des preuves »
Des prélèvements avaient été effectués sur les crânes des religieux, mais les autorités algériennes avaient refusé que ces échantillons soient ramenés en France pour les besoins de l’enquête. Depuis, les proches des moines ainsi que leur avocat n’ont eu de cesse de dénoncer une « confiscation des preuves » par Alger.
Les autorités algériennes s’étaient gardées de livrer ces échantillons en expliquant que cette affaire relevait de la souveraineté nationale et que les experts algériens étaient en mesure de procéder aux analyses avant de transmettre leurs conclusions à Paris. Le magistrat français et les familles des victimes doutaient de la sincérité du gouvernement algérien d’autant, expliquent-ils, que les prélèvements devaient y être absolument protégés d’une façon draconienne pour éviter leur détérioration.
Trois thèses pour expliquer la tragédie
Les sept moines du monastère de Tibhirine avaient été enlevés par un groupe armé dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, au cœur de la guerre civile qui faisait rage en Algérie. Selon un communiqué du Groupe islamique armé (GIA) daté du 21 mai et revendiqué depuis Londres, les sept religieux ont été décapités. Leurs corps n’ont jamais été retrouvés.
Pour les autorités algériennes, le crime porte la signature officielle du GIA. Cette thèse n’a jamais été admise par les familles et les proches des sept religieux qui réclament encore aujourd’hui la vérité sur leurs enlèvements et leurs assassinats. Depuis vingt ans, trois thèses sont avancées pour expliquer cette tragédie : celle d’un acte perpétrée par les groupes islamiques armées, une bavure de l’armée algérienne ou une manipulation des services secrets algériens.
Que disent les premières analyses effectuées en Algérie ?
Les experts ont constaté qu’il n’y a pas d’impacts de balles sur cinq des sept crânes examinés. Cette première constatation est importante car elle affaiblit la thèse d’une bavure de l’armée algérienne avancée en 2009 par le général Buchwalter, attaché militaire à l’ambassade de France au moment de la mort des religieux. Selon cette thèse, l’aviation algérienne aurait tiré par erreur sur le campement tuant les otages français. L’armée aurait alors procédé à la décapitation des moines pour faire croire à un assassinat par les terroristes.
Les décapitations ont-elles eu lieu après l’exécution des moines ?
Les experts français y croient bien qu’ils n’ont pas de conviction définitive sur le sujet. Néanmoins, ils sont en possession d’indices suffisants pour estimer que les têtes ont été tranchées plusieurs jours avant que le GIA n’annonce le 21 mai 1996 avoir décapité les sept religieux.
Les constations des experts français fragilisent de fait cette thèse défendue par Alger et par certains médias algériens. Ont-ils été tués par balle, puis décapités ? Ont-ils été assassinés par un groupe rival du GIA ? Le communiqué de ce dernier est-il un faux ? Ont-ils succombé à une bavure ? C’est ce que l’enquête judiciaire s’attachera à déterminer maintenant qu’Alger a accepté de livrer à la justice française ces fameux échantillons.
L’affaire des moines de Tibhirine aura été un vrai sujet de crispation dans les relations déjà tumultueuses entre l’Algérie et la France. La remise de ces prélèvements devrait donc dépassionner les débats autour de ce dossier et permettre peut-être d’approcher la vérité sur le rapt et la mise à mort de ses sept moines dont le souvenir reste encore vivace en Algérie vingt ans après leur disparition.
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