Afrique de l’Ouest : les rouages de la pêche illégale passés au crible
Un nouveau rapport du think tank britannique Overseas Development Institute, rendu public mercredi, identifie et dénonce les pratiques qui favorisent la pêche illicite, non déclarée et non réglementée au large des côtes africaines. Et recommande plusieurs mesures pour lutter contre ces activités.
Si l’ampleur et l’impact environnemental de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée au large des côtes ouest-africaines sont largement reconnus, le manque à gagner que cette activité représente pour les États africains et les moyens de le résorber sont, eux, plus difficiles à identifier.
Il est estimé que la pêche illégale compte pour un cinquième des volumes annuels levés dans la région (5,2 millions de tonnes en 2013 selon la FAO) et qu’elle génère une très nette surpêche par rapport à la capacité de reconstitution des réserves de poissons de la région. Plusieurs arraisonnements de chalutiers interceptés dans les eaux territoriales sénégalaise ou ivoirienne sont d’ailleurs intervenus en 2014.
Dans « Le poisson manquant de l’Afrique de l’Ouest« , un rapport publié ce mercredi 29 juin, le think tank britannique Overseas Development Institute (ODI) et porCausa, l’organisation espagnole de journalisme d’investigation, tentent de faire la lumière sur les mécanismes et l’impact économique de la pêche illégale dans la sous-région.
Transbordement et export par porte-conteneurs frigorifiques
« Nous identifions deux pratiques qui affaiblissent systématiquement la disponibilité des données [sur les activités de pêche], et créent un environnement favorable à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée », note ce rapport, réalisé avec l’appui de l’Africa Progress Panel.
Au premier chef, le transbordement des stocks au large dans des bateaux frigorifiques où le poisson est transformé, congelé et peut ensuite voyager sur de longues distances. Le rapport de l’ODI revendique l’exploitation inédite d’une base de données (FishSpektrum Krakken) regroupant une centaine d’informations par navire — dont leurs coordonnées géographiques —, et ce pour 820 000 bateaux de pêche à travers le monde.
Il ressort de cet examen que 35 navires frigorifiques de transbordement au large se sont rendus dans les eaux territoriales ouest-africaines en 2013, au Sénégal et en Côte d’Ivoire notamment alors que ces deux pays ont pourtant interdit cette pratique. Ces navires ont ensuite pris le chemin de l’Espagne (port de Las Palmas), des États-Unis (Nouvelle Orléans), du Royaume-Uni (Weymouth) ou du Japon (Tokyo).
Deux hubs de transbordement ont identifiés par les auteurs du rapport. Le premier se situe autour de la Guinée et couvre également le Sénégal, le Cap-Vert et la Gambie ; le second au large des côtes du Ghana, et recouvre le Togo, le Bénin et le Nigeria.
S’ils ne sont pas nécessairement illégaux, ces transbordements « émergent comme un moyen de sous-estimation des captures et de détournement des règles », dénonce le rapport.
« Par un mélange des pêches légale et illégale, ces transbordements au large peuvent rendre plus complexe, pour les autorités portuaires ou les autorités nationales […] le suivi des pêches », expliquent les auteurs de l’étude.
Les porte-conteneurs en question
La deuxième cause d’inquiétude soulevée dans ce rapport concerne les exports de poissons depuis l’Afrique de l’Ouest par porte-conteneurs, un mode de transport de plus en plus privilégié. Environ 84 % des 893 187 tonnes de poissons exportées en 2013 depuis cette région l’ont été par porte-conteneurs.
Or, ces porte-conteneurs « sont soumis à des inspections moins strictes », rappelle l’ODI, qui s’émeut que « le moyen d’exportation en plus forte croissance depuis l’Afrique de l’Ouest fait l’objet du plus faible système de suivi ».
Un marché potentiel supplémentaire de 3,3 milliards de dollars pour les flottes ouest-africaines
Ces deux mécanismes pouvant faciliter la pêche illégale, non déclarée et non réglementée contribuent à alimenter le manque à gagner des États, estimé à 1,3 milliard de dollars par an en Afrique de l’Ouest (de la Mauritanie au Nigeria), dont 300 millions de dollars pour le Sénégal et 110 millions de dollars pour la Guinée selon l’Africa Progress Panel.
Une limitation plus efficace de cette activité illicite « pourrait favoriser la création de 300 000 emplois supplémentaires » en Afrique de l’Ouest, et aider à l’essor des bateaux de pêche ouest-africains.
Ces derniers pourraient générer 3,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires s’ils pêchaient et exportaient eux-mêmes le poisson — « huit fois plus de revenus que par la cession de droits à des opérateurs étrangers », qui selon la FAO ne rapporte que 400 millions de dollars par an pour tout le continent.
En ce sens, le rapport fait plusieurs recommandations. Au premier rang de celles-ci : l’interdiction généralisée du transbordement de cargaisons au large.
L’étude recommande également l’application plus stricte des « mesures du ressort de l’État du port (MREP) ».
Ces mesures incluent notamment l’obligation de notification préalable d’entrée au port, les restrictions à l’entrée au port ainsi qu’au débarquement ou au transbordement de poisson, des inspections dans les sites portuaires et l’établissement d’une liste noire de navires, de même que des sanctions.
L’accord international sur les MREP, approuvé en 2009, est entré en vigueur le 5 juin 2016. Mais, à cette date, seuls trois États africains figurent parmi les 30 pays à l’avoir ratifié (Guinée, Gabon et Afrique du Sud) », regrettent les auteurs du rapport.
D’autres pistes de lutte contre la pêche illégale sont également évoquées, comme l’amélioration de la capacité régionale des États ou la constitution par l’Union africaine d’une liste noire de navires et armateurs valable pour tout le continent.
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