La démission du PDG du groupe audiovisuel public SABC provoque un tollé en Afrique du Sud

La démission fracassante du PDG de SABC lundi dernier a provoqué un véritable tollé en Afrique du Sud. À moins de deux mois des élections municipales en août prochain, le groupe audiovisuel public est accusé de censure.

Le logo de la télévision et radio publique sud-africaine, la SABC. © AFP

Le logo de la télévision et radio publique sud-africaine, la SABC. © AFP

Publié le 30 juin 2016 Lecture : 4 minutes.

« Pendant des mois j’ai renoncé aux valeurs qui me sont chères en pensant à tort que je serai plus efficace au sein de la SABC qu’à l’extérieur. Ce qui se passe à la SABC est mal et je ne peux plus faire partie de cela ». C’est par ce communiqué lapidaire posté sur son compte Twitter que Jimi Matthews, le PDG de la radio et de la télévision publique sud-africaine a annoncé le 27 juin sa démission du premier média du pays.

Selon l’ancien patron de la chaîne publique, « l’atmosphère corrosive a eu un impact négatif sur ma capacité de jugement, et m’a rendu complice de décisions au sujet desquelles je ne suis pas fier », a-t-il justifié.

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La goutte d’eau qui fait déborder le vase

Quelques jours plus tôt, trois salariés de la chaîne avaient été mis à pied pour avoir exprimé leur désaccord face à la ligne éditoriale. En réaction, l’un des journalistes suspendus, Foeta Krige, 60 ans, a publié sur sa page Facebook une photo de lui, la bouche muselée.

« Si vous n’adhérez pas à la politique de la SABC, c’est dommage ! Il y a deux solutions : soit vous partez soit on vient vous trouver, nous n’allons pas nous excuser pour ça », avait lancé à leur égard le chef des opérations, Hlaudi Motsoeneng.

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Proche de l’ANC, aux méthodes réputées brutales, Hlaudi Motsoeneng est la principale cible des critiques formulées à l’égard du groupe public. Spots de campagne de l’opposition suspendus, critiques contre le président Jacob Zuma éludées, interdiction de filmer les manifestations violentes, etc. À cinq semaines des élections municipales, la télévision publique sud-africaine est accusée de censure.

Chefs d’accusation

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Fin mai, la SABC a annoncé qu’elle ne couvrirait plus les destructions de biens publics lors des manifestations. « C’est regrettable que ces actions perturbent la vie de beaucoup de gens et, en tant qu’entreprise publique, nous n’aiderons pas ces individus à mettre en avant leur agenda qui requiert une attention médiatique », avait justifié Hlaudi Motsoeneng, cité par l’hebdomadaire sud-africain Mail and GuardianUne consigne que la chaîne a aussitôt mis en pratique, en assurant le service minimum pour la couverture des manifestations violentes qui ont secoué la capitale Pretoria et fait cinq morts, selon le dernier bilan.

Quasiment au même moment, le principal parti d’opposition, l’Alliance Démocratique (DA), a menacé de saisir la justice devant le refus de la SABC de diffuser ses clips de campagne en vue des élections municipales qui se tiendront le 3 août. »Ils ont retardé de quelques jours la diffusion de notre spot. Nous pensons que c’est parce que celui de l’ANC n’était pas prêt », confie à l’AFP Phumzile van Damme, la responsable de la communication de l’Alliance Démocratique, accusant Hlaudi Motsoeneng de « censure politique pour protéger l’ANC de toute couverture médiatique négative ».

Plus tôt cette année, la SABC avait banni la lecture des gros titres des journaux de la presse écrite, parfois critiques envers le pouvoir, dans les émissions de radio du groupe. Fin février, des médias locaux avaient aussi rapporté que les appels des auditeurs critiques vis-à-vis du président Zuma seraient désormais filtrés à la radio publique.

Le pouvoir riposte

« Les gens disent qu’on censure les informations. Je ne sais pas ce que c’est la censure. Il n’y a pas de censure à la SABC », s’est défendu avec aplomb Hlaudi Motsoeneng, insistant sur le fait que « tout le monde était heureux » au sein du groupe.

Le chef des opérations de la SABC a aussitôt bénéficié du soutien de la ministre de la Communication, Faith Muthambi, dont dépend le groupe, qui a mis en doute la sincérité de Jimi Matthews : « le calendrier de sa démission est suspect », a-t-elle déclaré dans un communiqué repris par le Mail and Guardian. »Certains individus veulent politiser ces questions et c’est regrettable qu’ils cherchent à marquer des points politiques là-dessus », ajoute le texte dans lequel la ministre réaffirme sa confiance dans le conseil d’administration du groupe.

À ce titre, elle regrette que Jimi Matthews en ait fait « une affaire sur les réseaux sociaux », plutôt que d’évoquer son malaise avec la direction. Ce dernier a été remplacé à la tête de la SABC dès le lendemain de sa démission par James Aguma, qui avait intégré la direction du groupe en mars 2014 en tant que directeur financier, indique le site d’information le Daily Maverick

Appel à manifester

Plusieurs journalistes sud-africains de différents médias ont néanmoins appelé à manifester vendredi devant les locaux de la SABC, pour dénoncer les « attaques contre la liberté d’expression ».

Pour Susan Booysen, professeur à l’université Wits de Johannesburg, cette situation au sein du diffuseur public est « typique » des périodes électorales. « Mais cette fois on a franchi un cap. Il y a un peu de paranoïa au sein de l’ANC car les élections vont être serrées« , ajoute t-elle.

Selon les derniers sondages publiés par l’institut Ipsos, l’ANC pourrait perdre trois grandes villes lors des élections municipales du 3 août. Il est menacé par la DA à Pretoria, Johannesburg et Port Elizabeth (sud-est), un premier revers d’envergure depuis son arrivée au pouvoir en 1994, à la fin de l’apartheid.

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