Gabon – René Aboghe Ella : « La Cenap ne fait pas la loi électorale, elle l’applique »

Depuis bientôt dix ans, René Aboghe Ella préside la Commission nationale électorale autonome et permanente du Gabon (Cenap). Critiqué par les candidats de l’opposition, dont certains réclament sa démission, le magistrat ne flanche pas et livre ses impressions sur le climat pré-électoral, à moins d’un mois de l’élection présidentielle. Interview. 

René Aboghe Ella, à Libreville le 26 juillet 2016. © Olivier Ebanga/Afrikimages Agency pour JA

René Aboghe Ella, à Libreville le 26 juillet 2016. © Olivier Ebanga/Afrikimages Agency pour JA

Publié le 5 août 2016 Lecture : 4 minutes.

On dit de lui qu’il est un homme discret, prompt à rester hors des turpitudes et des grandes manœuvres politiques gabonaises. Mais à l’approche de l’élection présidentielle du 27 août, déjà émaillée de tensions pré-électorales, René Aboghe Ella sait que son calme sera mis à rude épreuve.

« C’est un poste incontestablement délicat, convient cet homme affable de 57 ans, magistrat de formation. Ça demande de pouvoir supporter une certaine pression liée à l’ampleur de la tâche », ajoute d’une voix fluette le président de la Cenap, originaire d’une commune proche de Bitam.

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Ces dernières semaines, René Aboghe Ella est devenu la cible de certains candidats de l’opposition, qui l’accusent d’impartialité et demandent tout simplement sa démission. Face aux critiques, le magistrat auparavant en poste à la Cour des comptes brandit sa neutralité politique et répond à ses adversaires depuis son bureau de la Cité de la démocratie de Libreville.

Jeune Afrique : On vous décrit comme un homme réservé qui aime rester en dehors des turpitudes politiques. Pensez-vous y parvenir, alors que plusieurs opposants demandent votre démission ?

René Aboghe Ella : Le président de la Commission électorale ne peut se mêler au débat politique : la Cenap doit se tenir à équidistance de tous les camps.

Évidement, nous œuvrons dans le champ de la politique. Il est parfois difficile de ne pas tenir compte de ce qu’il se dit et de l’appréciation des gens. Mais nous restons concentrés sur les exigences de notre mission. C’est-à-dire veiller à ce que la loi électorale soit respectée.

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D’un point de vue personnel, comment gérez-vous ces attaques ?

Avec beaucoup de détachement. Nous comprenons qu’il s’agit du jeu politique, qui veut que les gens adoptent des postures. C’est de bonne guerre. Mais en ce qui me concerne, j’essaie de ne pas perdre de vue mon rôle : amener les Gabonais à exercer leurs droits civiques dans les meilleures conditions possibles.

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Bien sûr, je ne suis pas sourd à ces observations. Mais ces critiques ne m’affectent pas et glissent comme de l’eau sur le dos d’un canard. Évidement, quand elles sont fondées et objectives, nous ne les regardons pas avec indifférence, et certaines ont d’ailleurs mérité que nous corrigions notre appréciation des choses. 

Le scrutin aura lieu d’ici moins d’un mois. Le dispositif électoral est-il prêt ?

Le chronogramme de travail est bien respecté, ce qui augure de la tenue à la bonne date de l’élection. Rien de devrait s’y opposer.

Combien de bureaux de vote seront ouverts le 27 août ? 

Sur l’ensemble du territoire national et dans les missions diplomatiques, il y aura 2 580 bureaux de vote au total. Le collège électoral, annoncé par le ministère de l’Intérieur, sera de 628 124 électeurs.

Cette liste électorale a justement fait l’objet de débat. Certains s’interrogent sur le fait qu’elle soit passée de plus de 800 000 électeurs en 2009 à 628 124 en 2016. Comment s’explique cette différence ?

En 2009, notre liste électorale n’était pas biométrique et sa fiabilité était régulièrement mise en cause. Elle comportait semble-t-il un certain nombre de doublons. 

C’est ce manque de fiabilité qui explique que le Gabon soit passé en 2013 à la biométrie pour satisfaire une exigence récurrente des acteurs politiques. En 2013, lors de la refonte de la liste, nous avions un effectif d’environ 580 000 électeurs. Aujourd’hui, la dernière révision de cette liste nous amène à ce chiffre de 628 124, qui est conforme à la réalité. 

Certains observateurs craignent une forte abstention, notamment chez les jeunes. Est-ce vrai que de nombreux Gabonais ne se seraient pas inscrits pour voter ?

Selon les observations de la Cenap, un certain nombre de compatriotes dans certaines zones reculées n’ont pas pu s’inscrire sur la liste faute de détenir les pièces requises, à savoir un état civil ou un acte de naissance. Ce problème se posait déjà en 2013 lors des élections locales et a aussi été constaté pendant l’enrôlement en vue de la présidentielle de cette année, ce qui interpelle le gouvernement sur la fiabilisation de l’état civil. 

Le gouvernement n’a donc pas fait assez d’effort pour permettre à tous les Gabonais de bénéficier d’un état civil ?

C’est une évidence, d’ailleurs relevée par la Cour constitutionnelle.

Aux vues des tensions pré-électorales qui émaillent la pré-campagne, un apaisement du débat est-il selon vous encore possible ?

C’est souhaitable. Il faudrait que le débat politique s’engage dans une certaine maturité et que nous ayons moins de points de crispation afin de gérer l’élection présidentielle avec beaucoup moins de pression. Tout le monde y gagnerait : les citoyens bien entendu, mais aussi les acteurs politiques pour faire passer leurs messages.

Il pourrait y avoir une certaine contestation après la publication des résultats. Comment la Cenap peut-elle réduire ce risque de controverse ?

Les acteurs politiques ont la possibilité d’observer et même de participer à la gestion du processus électoral à tous les niveaux. Nous avons l’obligation de faire des formations à destination des observateurs désignés par tous les camps. Nous les appelons donc à exploiter au maximum les possibilités qui leur sont offertes par la loi pour prendre part, participer et observer le déroulement de l’élection car des places leur sont faites à tous les stades.

Mais nous déplorons que souvent, ils ne s’organisent pas suffisamment pour être représentés. Évidement, s’ils n’y prennent pas part, ils ont beau jeu de dire que les résultats ne sont pas fiables.

Certains opposants affirment que la Cenap n’est pas autonome. Que répondez-vous à ces critiques ?

Il suffit de lire la loi : en plus des représentants de l’administration, les principaux camps politiques sont représentés de façon équitable, à parité dans les instances électorales. La Cenap ne serait pas neutre ? Certains s’attendent peut-être à ce qu’elle se fasse le relais des messages de l’opposition ? La commission électorale ne peut pas se faire le relais des thèses d’un camp politique.

La Cenap ne fait pas la loi électorale, elle doit l’appliquer. La classe politique gabonaise, dans le cadre d’un certain rapport de force, il faut le souligner, a conçu une loi électorale qui est la nôtre aujourd’hui et que nous devons simplement appliquer.

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