Prisonniers politiques et d’opinion en RD Congo : finalement qui sort, qui reste ?

Le 19 août, le gouvernement congolais a ordonné la libération de 24 prisonniers politiques et d’opinion. Problème : certains détenus sont déjà dehors tandis que d’autres n’ont pas vu leur nom inscrit sur la liste des personnes à libérer. Et ceux qui ont bénéficié de la mesure n’ont toujours pas été libérés. Jeune Afrique fait le point.

Des partisans de l’opposition congolaise, le 27 juillet 2016 à Kinshasa. © John Bompengo/AP/SIPA

Des partisans de l’opposition congolaise, le 27 juillet 2016 à Kinshasa. © John Bompengo/AP/SIPA

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Publié le 24 août 2016 Lecture : 5 minutes.

Libres mais (encore) en prison

À quelle date seront-ils libérés ? Christopher Ngoie Mutamba, Fred Bauma, Yves Makwambala et Jean-Marie Kalonji, quatre militants de la société civile dont les noms ont été repris sur la liste des 24 personnes concernées par la « mesure de décrispation politique » en RD Congo, croupissent encore dans les cellules du Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK), connue sous le nom de la prison de Makala.

« Près d’une semaine après l’annonce du gouvernement [le 19 août], ces prisonniers d’opinion ne sont toujours pas informés des modalités pratiques de leur libération », s’inquiète Me George Kapiamba. Contacté par Jeune Afrique le 24 août, l’avocat et président de l’Association congolaise pour l’accès à la Justice (ACAJ) confie qu’il a adressé lundi une correspondance à Alexis Thambwe-Mwamba, ministre de la Justice, demandant à ce dernier d’« intervenir de manière à ce que les précités recouvrent leur liberté ».

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D’après nos informations, le directeur de la prison de Makala et les parquets se renvoient la balle. « Le premier dit attendre un document du second pour procéder à la libération des personnes bénéficiaires de la mesure gouvernementale alors que les procureurs, eux, considèrent qu’ils ne leur appartient pas de prendre une quelconque décision dans ce sens », indique une source proche du dossier. Mais au ministère de la Justice, on se veut rassurant. « Nous y travaillons et les quatre militants seront bientôt libérés », assure un conseiller du ministre, sans donner d’amples précisions.

Déjà libres mais… sur la liste des personnes à libérer

En attendant, la polémique enfle autour de la liste même des personnes à libérer. Vingt détenus sur les 24 cités sont déjà dehors depuis plusieurs semaines, voire depuis quelques mois. « Certains ont soit été acquittés (c’est le cas de  trois étudiants : Giresse Bongomisa Nzinga, Joël Namulinda Bokuru et Léon Nguwa), soit ont bénéficié de la liberté provisoire (Jerry Olenga et Paulin Lody), soit ont purgé leur peine (Narcisse Kombi, Pascal Byumanine et sept manifestants arrêtés en novembre 2015 à Goma, ainsi que Paul Kikuma), soit ont été libérés par l’Agence nationale de renseignement sans aucune explication (comme le rappeur Radek Junior Mapeke N’landu) », commente Me Kapiamba, dont l’ONG exige la révocation du garde des Sceaux congolais pour « faute lourde ».

Il va sans dire que beaucoup reste à faire, selon le facilitateur Edem Kodjo

Alexis Thambwe-Mwamba serait-il le seul responsable de cet imbroglio judiciaire ? Du côté des autorités congolaises, on se défend en brandissant sa bonne foi. « C’est depuis le 4 août qu’une délégation de l’Union européenne a transmis aux institutions de la République la liste de ces personnes à libérer telle qu’établie par les membres du ‘Rassemblement’ de l’opposition lors de leur rencontre début juin à Genval autour d’Étienne Tshisekedi », avance une source gouvernementale.

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La Lutte pour le changement (Lucha), mouvement citoyen très actif dans l’est de la RDC et dont des membres sont encore en détention (Bienvenu Matumo, Héritier Marcel Kapiteni et Victor Tesongo), parle de « négligence » et n’épargne personne : « Nous reprochons d’abord au ‘Rassemblement’ de l’opposition de n’avoir pas transmis une liste à jour à la délégation de l’UE, puis au ministère de la Justice de n’avoir pas vérifié, par le canal de ses services au parquet et à la prison, qui était vraiment en état de détention, mais aussi au facilitateur Edem Kodjo qui s’est précipité de confirmer la libération des 24 détenus alors que seules quatre personnes sont réellement concernées », déplore l’un des militants.

« Il n’y aucun quiproquo, a rétorqué le ministre Alexis Thambwe-Mwamba. La liste remise au ministère comportait 26 noms et pas un de plus. Elle a été jointe à une lettre signée par l’ambassadeur de l’UE (…). Le ministère a donné son feu vert pour libérer 24 des 26 personnes reprises sur la liste, en précisant, par écrit, aux procureurs généraux concernés, à savoir ceux des parquets généraux de Kinshasa/Gombe, Kinshasa/Matete et Goma, qu’ils devaient prendre les mesures pour libérer celles des personnes encore détenues figurant sur la liste ».

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« Il va sans dire que beaucoup reste à faire », a reconnu mardi Edem Kodjo lors du lancement des travaux du comité préparatoires du dialogue politique en RDC. « Nous remettrons cent fois, mille fois, sur le métier, l’ouvrage essentiel, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul détenu politique dans les prisons (…) », a promis l’ancien Premier ministre togolais, encourageant le gouvernement à prendre d’autres mesures de décrispation politique.

En attente de libération ou d’abandon des poursuites

À en croire plusieurs sources concordantes, plus de 80 prisonniers politiques et d’opinion déjà amnistiés n’ont toujours pas quitté les différentes geôles où ils sont enfermés à travers le pays. Leurs noms ont été transmis le 10 août à Edem Kodjo, au gouvernement congolais et à ses partenaires internationaux par l’ACAJ.

Selon cette ONG qui suit de près le dossier, outre les quatre militants de la société civile bénéficiaires de la « mesure de décrispation » – mais qui attendent encore leur libération -, la RDC compte aujourd’hui quelque 111 détenus politiques ou d’opinion, les amnistiés non libérés compris.

Le pouvoir de Kabila a l’opportunité de se ressaisir, estime un proche de Katumbi

Dans le lot, on trouve entre autres les opposants Jean-Claude Muyambo, président de la Solidarité congolaise pour la démocratie et le développement (Scode) et Eugène Diomi Ndongala, leader de la Démocratie chrétienne (DC), poursuivi dans une affaire de spoliation pour le premier et de viol pour le second. Des « procès politiques », selon leurs proches.

Plusieurs proches de Moïse Katumbi, incarcérés à Lubumbashi et à Kinshasa, font également partie du décompte. Le dernier gouverneur du Katanga, condamné à trois ans de prison dans un litige immobilier et inculpé d’atteinte à la sûreté de l’État, ne cesse de dénoncer une « machination politique » ayant pour but de l’empêcher de se présenter à la présidentielle.

« Aujourd’hui, au nom du dialogue inclusif, le pouvoir de Kabila a l’opportunité de se ressaisir en abandonnant toutes les condamnation et poursuites bidons engagées » contre le candidat déclaré à la présidentielle, explique l’un de ses proches. « D’autant que dans l’affaire du mercenariat, l’Américain que la justice avait présenté comme le principal suspect a été relâché et la juge principale dans l’affaire immobilière a expliqué récemment comment elle a été contrainte à condamner Moïse Katumbi », ajoute-t-il.

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