Ce jour-là : le 19 septembre 2002, une tentative de coup d’État ébranle profondément la Côte d’Ivoire
Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, une tentative de coup d’État éclate en Côte d’Ivoire, provoquant la scission du pays en deux zones géographiques. Les héritiers d’Houphouët-Boigny ouvrent une crise qui mettra près de 10 ans à se refermer.
Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, il est aux alentours de 3h du matin quand des hommes en armes lancent l’assaut sur plusieurs casernes et gendarmeries d’Abidjan. Mais la capitale économique n’est pas la seule ville à s’embraser. De manière simultanée, des attaques identiques sont menées dans le nord ivoirien, à Bouaké et Korhogo…
Dans la matinée du 19 septembre, une épaisse masse nuageuse recouvre le sud du pays. Le ciel est lourd. La confusion règne dans les rangs de l’armée qui ne va cependant pas tarder à lancer sa riposte. Mais contre qui doit-elle se battre ? À Abidjan, il semble tout d’abord que les assaillants soient des soldats de l’armée ivoirienne ayant appris qu’ils en seraient prochainement exclus. Une chose est sûre : la Côte d’Ivoire s’enfonce dans une période de troubles et d’incertitude telle qu’elle n’en a jamais vécu.
L’heure des règlements de comptes
À Abidjan, les combats de rue tournent en faveur des loyalistes. L’armée traque les insurgés tout en restant sur le qui-vive au cas où une deuxième vague d’attaques se déclenche. Malgré le calme apparent, la journée est jalonnée de règlements de comptes sanglants. Le général Robert Gueï, suspecté d’être derrière le coup de force, est assassiné dans des circonstances non élucidées, ainsi que le ministre de l’Intérieur, Émile Boga Doudou.
Pendant ce temps, les premières tentatives de contre-offensives loyalistes à Bouaké et Korhogo échouent ce même 19 septembre. La nuit suivante, Alassane Ouattara et son épouse échappent de peu à une tentative d’assassinat menée par des « escadrons de la mort » (milices pro-Gbagbo), en se réfugiant in extremis dans l’ambassade d’Allemagne.
Au deuxième jour du putsch, Abidjan reste aux mains du gouvernement, les mutins sont parvenus à prendre possession de la deuxième ville du pays : Bouaké, mais aussi de la capitale du nord ivoirien : Korhogo. L’unité de la Côte d’Ivoire s’en trouve gravement compromise.
Le voile se lève sur l’identité des rebelles
Le mystère entoure encore ces assaillants qui utilisent, selon les mots du président Laurent Gbagbo, alors en déplacement à Rome « des armes lourdes, nouvelles pour la plupart, des armes dont ne dispose pas notre armée – donc on ne peut pas dire que c’est l’armée de la Côte d’Ivoire qui se rebelle – des armes utilisées dans les armées étrangères ou achetées à des gouvernement ».
Le 24 septembre, Notre voie, quotidien proche du Front populaire ivoirien (FPI, parti de Laurent Gbagbo), accuse le président burkinabè d’être le responsable de ce coup de force, en titrant en Une et dans une typographie rouge sang : « Blaise Compaoré ».
L’origine, les motivations, le financement et l’armement des rebelles sont encore très flous. Mais déjà circule l’information d’un entraînement des assaillants dans la base de Pô au Burkina, faits qui accréditent la thèse de l’ingérence burkinabé.
Le concept d’ivoirité dans le viseur
La scission « nord-sud » du pays s’opère lentement. Les rebelles annoncent leurs premières revendications par la voix d’un de leurs responsables, Guillaume Soro : le départ de Laurent Gbagbo, l’obtention de la nationalité ivoirienne par tous les habitants du pays, mais aussi et surtout l’arrêt de l’emploi de l’idéologie xénophobe de l’ivoirité… Un concept mis en place par les héritiers du père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, à des fins électoralistes et économiques.
En 1993, Henri Konan-Bédié puis le général Gueï s’étaient fait les chantres de cette idéologie destinée à marginaliser socialement et politiquement des populations vivant en Côte d’Ivoire et ayant des origines dans les pays limitrophes, notamment du Burkina-Faso. Mais la cible première, dans une logique inavouée, était surtout d’empêcher Alassane Ouatarra de parvenir au poste suprême.
La France entre dans la mêlée
L’ancienne puissance coloniale rentre dans la mêlée en lançant le 22 septembre l’opération Licorne pour sécuriser le statu quo entre le nord et le sud, et impose quelques mois plus tard les accords de Marcoussis, le 23 janvier 2003. Cependant, ces derniers se révéleront fragiles en raison de l’animosité qui oppose les deux parties ivoiriennes et de l’attitude de Gbagbo, qui assurera avoir été forcé de signer.
La crise ivoirienne s’enfonce dans un imbroglio sans précédent, dans lequel l’armée française est prise à partie à la fois par les rebelles et par les loyalistes. Le bombardement du camp français de Bouaké et la fusillade de l’Hôtel Ivoire seront des épisodes qui illustreront avec force l’enlisement de l’opération Licorne.
Une crise qui s’installe dans la durée
Ce n’est que le 4 mars 2007, lors de la signature des accords de Ouagadougou, qu’un début de règlement pacifique du conflit se dessine enfin. Quelques mois plus tard, le 30 juillet 2007, en présence de Gbagbo, Soro et plusieurs chefs d’État africains (Yayi Boni, Blaise Campaoré, Faure Gnassingbé, Thabo Mbeki…) la cérémonie de la flamme de la paix organisée dans le stade de Bouaké, scelle pour un temps la paix nationale. Qui sera à nouveau mise à rude épreuve par la crise postélectorale de 2010-2011…
Retrouvez ci-dessous l’article consacré à la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002 paru dans Jeune Afrique, l’Intelligent n°2176 du 23 au 29 septembre 2002. N’hésitez pas à agrandir la fenêtre de lecture pour un plus grand confort de lecture.
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