Kako Nubukpo : « L’impératif de diversification est urgent »

Arrivé à la tête de la Francophonie économique et numérique au sein de l’OIF en avril dernier, le Togolais Kako Nubukpo organise la première journée consacrée à cette thématique le 14 septembre prochain à Paris. L’occasion pour lui de faire le point sur les défis économiques qui se posent à l’Afrique, pour son développement futur et notamment du point de vue numérique. Interview de l’ex-ministre togolais de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques, parti enseigner à Oxford.

Kako Nubukpo (Togo) à RFI, le 4 septembre 2015. © Bruno levy pour JA

Kako Nubukpo (Togo) à RFI, le 4 septembre 2015. © Bruno levy pour JA

Publié le 13 septembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Fervent opposant du CFA, il « réclame qu’on ne déconnecte pas le débat monétaire du débat sur l’émergence », dit celui qui a co-signé Sortir l’Afrique de la servitude monétaire, un ouvrage collectif, et veut faire de « la Francophonie un véritable espace d’échange en favorisant la diplomatie commerciale ». La rencontre de mercredi verra des interventions du nouveau patron de l’AFD Rémy Rioux, ou de la secrétaire générale de l’OIF, Michaëlle Jean. Et les débats, centrés sur les questions des entreprises et des territoires, de la diplomatie commerciale francophone et la transformation des économies, réuniront notamment Janine Diagou, la directrice du groupe ivoirien NSIA, ou l’inévitable Lionel Zinsou.

Quelle est l’ambition que vous entendez défendre avec cette première Journée ?

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Cette première journée de la Francophonie économique et numérique s’articule autour de plusieurs axes, dont le premier est : comment atteindre les objectifs de stratégie économique définis lors du sommet des chefs d’État africains à Dakar en 2014 ?

Il s’agit de faire de la Francophonie un véritable espace d’échange en favorisant la diplomatie commerciale. Et donc de renforcer les capacités de négociation des pays africains dans les enceintes d’organismes tels que l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Lors de cette journée, le président malgache [Hery Rajaonarimampianina] sera présent pour annoncer le lancement de l’Agence malgache de développement en partenariat notamment avec la Caisse des dépôts et consignations [française] et le Forum francophone des affaires (FFA). Si cette agence parvient à être un moteur du développement à Madagascar, ce modèle pourra être un véhicule pour d’autres pays africains.

Un autre aspect est ce que j’appelle celui des enjeux de la transformation structurelle, à savoir : comment se caler sur le développement démographique dans des pays où la population double tous les vingt-cinq ans ? Comment trouver des emplois pour les jeunes ? Peut-on passer au secteur tertiaire sans passer par le secondaire ? Je pense que le phénomène d’apprentissage est nécessairement lié à la transformation des matières premières dans les pays africains.

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Mais on n’est pas obligés de s’industrialiser comme l’a fait l’Occident. On peut le faire avec des énergies propres, en suivant les recommandations de la COP21, et le numérique peut faire gagner des gains de productivité.

Cette première journée de la Francophonie économique et numérique doit mettre tout cela en débat et tous ces thèmes seront abordés au sommet d’Antananarivo [prochain sommet des chefs d’État de la francophonie], à Madagascar, en novembre, qui aura une dominante économique.

Nous travaillons à la sécurisation du droit de la propriété intellectuelle pour que les artistes africains francophones ne se retrouvent plus à vivoter dans les banlieues occidentales.

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En même temps que votre nomination, votre direction a été élargie au numérique. Quel rôle joue désormais ce secteur dans vos activités ?

La stratégie numérique avait été abordée dès le sommet des chefs d’État à Kinshasa en 2012, mais cette rencontre mettait plus l’accent sur la fracture numérique. Nous, nous souhaitons plutôt maximiser le potentiel numérique du continent africain. Nous travaillons à la sécurisation du droit de la propriété intellectuelle pour que les artistes africains francophones ne se retrouvent plus à vivoter dans les banlieues occidentales. Nous travaillons donc avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) française pour créer un équivalent, une Sacem de la francophonie en Afrique. On accole donc une nouvelle dimension, l’économie de la culture, à la francophonie traditionnelle.

Notre travail sur le numérique contient aussi un aspect régalien, avec le développement des écosystèmes nationaux et de la cyber-sécurité. Peu de gens le savent mais certains noms de domaines tels que .ml pour le Mali ou .tg pour le Togo n’appartiennent pas aux pays concernés. Ils ont été achetés il y a plusieurs années au début de la commercialisation des noms de domaine par des entreprises privées et valent désormais plusieurs millions de dollars. Nous travaillons donc avec ces pays pour les aider à racheter leurs noms de domaine.

Vient enfin la dimension des « biens communs numériques », avec le développement des MOOC, des cours en ligne et de la numérisation des bibliothèques. Par exemple, nous travaillons en ce moment à la numérisation des archives juridiques de l’Assemblée nationale du Bénin, à la demande de ce pays. Ce qui a son importance dans la mesure où dans beaucoup de pays africains, une grande partie de la population n’a souvent pas de carte d’identité à la naissance.

Que vous inspire la situation économique africaine actuelle, marquée par un fort ralentissement ?

La situation économique prouve que l’impératif de diversification économique devient urgent. Les pays qui ont fait le choix de la mono-spécialisation subissent de plein fouet le retournement du cycle pétrolier. Ces pays, comme la cigale de la fable, n’ont pas su profiter de la manne pétrolière pour diversifier leur économie. Dans ce contexte, diversifier la base productive devient crucial. Le Gabon a déjà commencé avec le bois, dont il a limité l’importation pour que certaines phases de sa transformation soient effectuées sur place.

Le franc CFA est relié de façon rigide à l’euro, ce qui représente un frein à la compétitivité.

Mais si je fais le point sur la situation économique de l’Afrique francophone, je ne peux la déconnecter de la question de la monnaie. Le franc CFA est relié de façon rigide à l’euro, ce qui représente un frein à la compétitivité. Les pays asiatiques, qui constituent notre modèle en la matière, ont une monnaie faible, ce qui représente une incitation à produire localement, puisque les importations sont plus chères, et facilite les exportations.

Une monnaie forte décourage au contraire les exportations. Je réclame donc qu’on ne déconnecte pas le débat monétaire du débat sur l’émergence. Si on regarde la situation en Afrique de l’Ouest, on se rend compte qu’à part en Côte d’Ivoire, la balance commerciale est déficitaire partout. Ce phénomène entraîne des sorties de devises, qui ne sont donc plus suffisantes pour soutenir le taux de change. Si le retournement de situation pour les matières première se poursuit, nous serons un jour dans l’obligation de dévaluer.

Ce débat est systémique. Il existe plusieurs discours qui se superposent : d’abord, celui des dirigeants, plutôt orthodoxe, sur le modèle de la Banque centrale européenne (BCE), qui fait du combat contre l’inflation et de l’assainissement des finances publiques son grand combat. Puis le discours mercantiliste et méso-économique, sur le modèle de l’Asie, agressive à l’export et protectionniste à l’import. Enfin, le discours micro-économique, celui qui consiste à atteindre les objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU.

En Afrique, cette superposition de discours évite d’avoir à se poser les bonnes questions. Jean-Michel Severino, l’ex-président de l’Agence française de développement (AFD), pense que le développement de l’Afrique doit s’aligner sur le modèle nord-américain, et passe par le développement d’une classe moyenne émergente plus que par l’exportation de produits transformés. Je crois que la priorité est d’abord à la réduction des inégalités. Le pré-requis consiste à avoir la population avec soi. Or, aujourd’hui, la gouvernance en Afrique est globalement peu inclusive et peu légitime.

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