La présidentielle gabonaise expliquée sous le prisme de la « démocratie à l’africaine »

Le monde occidental et surtout la France s’offusquent de la victoire de Bongo contre Ping au cours de l’élection présidentielle gabonaise. Il y a deux lectures à faire pour expliquer le résultat des élections.

Le président gabonais Ali Bongo Ondimba en train de prêter serment pour un deuxième mandat à Libreville, le 27 septembre 2016. © Jeremi Mba/AP/SIPA

Le président gabonais Ali Bongo Ondimba en train de prêter serment pour un deuxième mandat à Libreville, le 27 septembre 2016. © Jeremi Mba/AP/SIPA

Lucien-Pambou
  • Lucien Pambou

    Professeur de sciences économiques et politiques, rédacteur associé de la revue Géopolitique africaine.

Publié le 4 octobre 2016 Lecture : 4 minutes.

Dans la première lecture, Jean Ping estime que le respect des principes fondamentaux de la démocratie a été bafoué par la victoire usurpée et frauduleuse de Ali Bongo. Dans la seconde, il faut expliquer aux interlocuteurs occidentaux, qui font mine de pas voir la réalité alors qu’ils la connaissent, que les élections en Afrique font l’objet de tractations subjectives et objectives pour la conservation du pouvoir.

Deux éléments permettent de répondre à l’entorse des principes démocratiques universels de référence : le recours aux mécanismes de la démocratie à l’Africaine et celui au réseau politique dans la plupart des pays d’Afrique et surtout en Afrique centrale.

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Une logique clanique

Jean Ping a mené une campagne importante dans l’ensemble du Gabon utile, c’est-à-dire dans toutes les provinces gabonaises. Cette campagne présidentielle a mis en avant dans un premier temps la nationalité de Ali Bongo (considéré comme non-gabonais) et la volonté de se séparer de la famille Bongo, alors que lui-même, Jean Ping, est un membre depuis de nombreuses années du clan Bongo sur les plans politique et familial.

L’élection présidentielle est le moment de faire exister les relations claniques, tribales comme soubassement d’un discours politique

Le candidat Ping a commencé à parler de son programme sur la fin de la campagne présidentielle. C’est un choix volontaire dans lequel on peut voir des éléments qui peuvent être expliqués par les notions de démocratie à l’Africaine et de théorie du réseau politique. Pour la plupart des pays africains, l’élection présidentielle est le moment de faire exister les relations claniques, tribales comme soubassement d’un discours politique que l’on veut faire exister comme substance pour la cohésion et le développement économique.

Dans la réalité du discours, on remarque que nous basculons dans une démocratie typiquement à l’Africaine où les notions d’État et de Nation sont très fragiles et sont remplacées par celles du clan, du village et de l’ethnie. Certains intellectuels africains récusent ce concept de démocratie à l’Africaine car ils le trouvent perverti et infériorisant pour les États africains ; et pourtant la pratique est brutale et vise à montrer que la marche vers le processus réel de démocratisation des procédures électorales en Afrique est lente.

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Force de la tradition

Pour résoudre et s’accommoder de cette lenteur, les élections en Afrique acceptent dans la forme les pratiques universelles et occidentales de la démocratie. Dans la réalité, ce sont les formes traditionnelles de rapport de force, de domination, de clan et de manipulation des résultats qui l’emportent.

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Le recours à la théorie du réseau politique permet d’expliquer comment Bongo a réussi à gagner l’élection que lui conteste Jean Ping. Dans tout réseau il y a des trajectoires et des nœuds. Ping et tous les barons du régime (Myboto, Gondjout, N’Goulakia – cousin germain du président Bongo -, Barro-Chambrier, Guy Nzouba-Ndama – ancien Président de l’Assemblée nationale -, etc.) sont des éléments importants du réseau politique gabonais. La plupart d’entre eux ont créé un nouveau parti, Héritage et Modernité, pour s’opposer à Ali Bongo en lui signifiant que sa victoire de 2009 était en partie la leur (bel aveu pour ces caciques du régime de Bongo père qui finissent par reconnaître qu’ils ont aidé le fils à gagner la présidentielle de 2009 contre Mba Obame).

Des caciques lésés

Au pouvoir Ali Bongo a modifié les privilèges et les avantages en direction de ces caciques qui s’estiment lésés et non récompensés car, en tant que membres des trajectoires de réseau, ils ne comprennent plus pourquoi les biens, les privilèges, les reconnaissances symboliques ne sont plus de leur côté. Ils ont décidé de faire alliance avec Ping au tout dernier moment, alors que chacun d’entre eux voulait être Calife à la place du Calife.

Il faut revisiter les concepts de démocratie à l’Africaine et de réseau politique

Les principaux observateurs de l’Union européenne, avec des formules diplomatiques de circonstance, crient à la tricherie de Bongo, à la manipulation de la Cour constitutionnelle qui fait partie de la trajectoire en tant qu’institution du système politique gabonais. L’Afrique centrale francophone apparaît comme différente vis-à-vis des autres régions francophones d’Afrique en matière d’élections, de démocratie et d’alternance politique.

Pour comprendre ces différences, ce que l’Occident et surtout la France n’ignorent pas, il faut revisiter les concepts de démocratie à l’Africaine et de réseau politique dont le fonctionnement est dual, interne et externe. Il ne faut pas désespérer de l’Afrique centrale francophone qui regorge de matières premières agricoles, minérales et pétrolières. Le recours à une pratique régulière et normale aux principes de la démocratie universelle doit être recherché dans cette partie de l’Afrique pour une stabilité à long terme et pour le bien-être et le développement des populations qui sont souvent les victimes des intrigues politiciennes dans cette partie de l’Afrique.

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