En France, ces prêtres venus d’ailleurs – et surtout d’Afrique
La « fille aînée de l’Église » connaît une crise des vocations sans précédent. Du coup, les autorités ecclésiastiques font de plus en plus appel à des prêtres étrangers. Et, en premier lieu, africains.
À Corbeil-Essonnes, dans la grande banlieue parisienne, le père Emmanuel Bidzogo est connu comme le loup blanc. Si l’on peut dire, vu qu’il est natif du Cameroun ! Depuis six ans, à titre de Fidei donum ("don de la foi", du nom d’une encyclique publiée par Pie XII en 1957), il est chargé du diocèse d’Évry-Corbeil-Essonnes. Sa mission ? Remplir la cathédrale.
Au départ, le défi n’allait pas de soi. Il a manifestement été relevé avec succès, puisque, en ce dimanche de novembre, plus de trois cents personnes se pressent dans les travées. Sept ans durant, le père Bidzogo fut curé d’Évry. Il est aujourd’hui responsable de secteur et coordonne l’action des prêtres de sept villes de la région. Pour pallier la crise des vocations, l’Église de France fait appel à 1 600 étrangers, parmi lesquels 1 200 Africains. La moitié des prêtres de l’Hexagone ont en effet plus de 75 ans.
Selon la Conférence des évêques de France, il n’y aura cette année que 82 ordinations – chiffre le plus bas depuis 1986. De même, on recensait dans les années 1990 puis de 1 000 séminaristes ; ils n’étaient que 691 en 2012. En douze ans, le nombre des candidats au sacerdoce a baissé de 29,2 %, celui des entrées en premier cycle de séminaire de 31,7 %.
Pour inverser la tendance, certains tablent sur un hypothétique "effet pape François". Mais même si celui-ci a lieu, il faudra du temps pour qu’il porte ses fruits : la formation d’un prêtre dure en moyenne sept ans. À l’inverse, l’Afrique n’est nullement menacée par une quelconque crise des vocations, sans doute parce que les prêtres y vivent relativement bien : leur rémunération est généralement très supérieure au salaire minimum.
Tous les prêtres africains en France n’ont pas le même statut. Certains disposent d’une sorte de contrat de trois ans renouvelable dans le cadre d’un accord entre deux églises : ce sont les Fidei donum. D’autres sont prêtres-étudiants dans des instituts catholiques ou à l’université et interviennent à mi-temps dans des paroisses. D’autres encore séjournent en France pour raisons médicales et rendent de menus services quand leur santé le leur permet. Enfin, certains assurent pendant les mois d’été le remplacement de prêtres en vacances. Dans tous les cas, qu’ils soient curés de paroisse ou membres d’équipes sacerdotales, un accord entre les évêques des paroisses d’origine et ceux des paroisses d’accueil est indispensable.
Il arrive qu’un Africain soit mal accepté par ses fidèles, mais dans l’ensemble, les choses se passent plutôt bien. Nombre de paroissiens apprécient ces prêtres souvent jeunes et sportifs. Leur vitalité et le dynamisme de leurs sermons plaisent. Dans une paroisse du 5e arrondissement de Paris, le choeur, dirigé par un prêtre béninois chanteur de gospel, fait un tabac !
Mais parfois, le choc culturel est rude. Originaire de Madagascar et curé de Sainte-Ménehould, en Champagne (Est), le père Gilbert Louis maîtrise mal le chant en français. Alors, lors des messes de Noël, il invite les fidèles à entonner des cantiques en malgache et à danser, suscitant la perplexité de son auditoire. Les Champenois sont des gens peu expansifs… Le père Bidzogo se souvient d’un prêtre tout juste débarqué d’Afrique à qui il advint de rester deux jours sans manger : ses paroissiens n’avaient pas coutume de faire la cuisine à leur curé… Ils ont appris. En Afrique, une messe dure généralement plus d’une demi-heure. Ici, les fidèles regardent leur montre au bout de vingt minutes.
Toute l’Europe catholique concernée
La France n’a d’ailleurs pas l’exclusivité du phénomène : c’est toute l’Europe catholique – ou faut-il dire ex-catholique ? – qui est concernée. À en croire l’historien des religions Odon Vallet, auteur de Dieu et les religions en 101 questions-réponses (Albin Michel), c’est la Belgique qui, eu égard au nombre de ses habitants, accueille le plus grand nombre de prêtres africains. Le problème, c’est que ces derniers sont généralement installés dans des diocèses urbains, à proximité d’un institut catholique, par exemple. Or ce n’est pas là que leur présence est le plus nécessaire.
Dans les provinces françaises, une seule paroisse rurale peut regrouper jusqu’à une dizaine de villages : la demande est donc pressante. Pourtant, il est beaucoup plus facile pour un prêtre africain de s’intégrer dans une grande ville, où il rencontrera aisément d’autres Subsahariens. Il a une mission pastorale, c’est entendu, mais l’objectif n’est quand même pas de le pousser à la dépression ! Reste que l’exil des prêtres africains pose un certain nombre de problèmes. D’abord, la fuite des cerveaux. Il est grave, car les diocèses africains de campagne peinent eux aussi à recruter.
Ensuite, la cohabitation avec les femmes. Les Africains passés par les séminaires, petits et grands, ont toujours vécu entre hommes. Ils découvrent en Europe que les laïques qui font tourner les paroisses sont majoritairement de sexe féminin. Psychologiquement pas évident. Dans les paroisses africaines, ce sont les prêtres qui commandent. Ici, la direction est plus collégiale. Autre problème : l’argent. Souvent, les prêtres africains nouent des partenariats avec des paroisses françaises, qui aident les leurs sur le continent.
En raison de quelques abus, les évêques français ont d’ailleurs décidé de fixer des limites, car les prêtres ne viennent quand même pas en Europe pour faire du business ! Il arrive aussi que l’un d’entre eux, parvenu au terme de sa mission, rechigne à repartir chez lui. D’autres exigent une contrepartie financière, dont on ne sait pas toujours si elle sera destinée à la famille ou à la paroisse. Une paroisse d’Île-de-France a récemment versé 6 000 euros à un prêtre pour le convaincre de rentrer…
> > Lire aussi l’interview d’Odon Vallet: "Rien n’est impossible au Saint-esprit…"
Haut niveau
Pour Odon Vallet, ce n’est pas aux prêtres étrangers de résoudre la crise des vocations en Europe. Les prêtres qui viennent en France ont généralement fait des études de très haut niveau. Pourquoi déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Mais la fuite des cerveaux, le père Bidzogo n’y pense pas. "Des décisions importantes concernant l’Afrique sont prises en Europe, explique-t-il. Que des prêtres d’origine africaine y soient associés est forcément positif." Lui-même reste en contact étroit avec son pays d’origine et aide au développement des écoles locales.
Des religieuses africaines prennent elles aussi le chemin de l’exil. Pour le meilleur et, parfois, pour le pire. Certaines sont exploitées et affectées aux tâches les plus ingrates. Odon Vallet évoque l’expérience d’une amie religieuse française qui a quitté sa congrégation parce qu’on exigeait d’elle qu’elle fasse venir du Togo de jeunes novices afin de prendre en charge de vieilles religieuses malades. Pis, une quarantaine d’Africaines censées soigner des religieuses italiennes se sont retrouvées à jouer les escort girls pour prêtres esseulés, à Rome !
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